Une si longue marche, troisième !
Le réveil nous surprend à peine, assez pour dire que la tablette de bois était effectivement trop près de l’oreiller ! Encore plus que le petit déjeuner, j’ai hâte de voir où nous sommes. En ouvrant les volets sur un large balcon, je découvre cette superbe vallée. Dans un panorama assez fou, en contrebas Moena se place à la croisée de plus petites vallées, encore à peine éclairées. La grande route traverse une partie du village avant de s’enfouir dans un tunnel qui doit ressortir plus haut en direction de Pozza di Fassa. Plus près, une sorte de monastère à l’architecture accueillante domine la grosse bourgade où de vielles fermes côtoient des appartements éco responsables, de grands hôtels bien propres et des villas des années 70. Le soleil approche calmement et me fait lever la tête sur les Dolomites, ces montagnes en majestés. Parées de leur vertigineuses parois et de leurs couleurs éclatantes, saupoudrées de neige, on dirait des Panettones au sucre. Rien que pour cette vue, ça valait le déplacement !
En appétit, direction la salle du petit déjeuner. C’est copieux mais pas gargantuesque, à la mesure de nos ambitions. Tout le Team est déjà là, empilant café et petits pains au Nutella parce que le programme est chargé aujourd’hui ! J’adore ! Une demie heure plus tard le bus file dans le sens de la descente pour rejoindre un genre de camp d’entrainement pour fondeur au Passo de Lavazè, on a tous besoin de skier un peu. D’habitude ils allaient sur un autre site mais celui-ci est très bien côté à l’argus car il accueille régulièrement l’équipe A de Norvège en période de préparation. Argument imparable, en plus il est moins cher. La route me permet de mieux comprendre les infos d’hier soir puisque nous suivons le parcours de course à moins d’une largeur de voie. On est si proche qu’à un moment on s’arrête pour toucher la neige et se faire une idée pour la course. Ça fait très chevalier en mission, le sketch de Kaamelott n’est pas loin ! Tels des chasseurs en quête de gibier, les autres (je ne suis pas chasseur !), tâtent, analysent les traces, font des boules, reniflent, parlementent. Personne ne va jusqu’à gouter la neige mais le verdict tombe : neige très froide probablement à -9°, naturelle à 45 % et bien compactée par une dameuse peu puissante et pas très lourde. Les traces sont légèrement verglacées parce qu’elles sont beaucoup skiées, mais sans résidus. On vérifiera demain pendant les tests de ski. On ira une fois en haut du parcours dans le très froid et une fois en bas, au soleil dans du moins froid, mais en tous cas, les bases de nos fartages sont bonnes. De vrais pros je vous dis !
La route reprend et s’élève dans Cavalèse le village d’arrivée. On passera au retour voir les terribles derniers kilomètres et récupérer nos dossards. Pour l’instant la grimpée est magnifique. Le col serpente dans une forêt de mélèzes en plein soleil. De gros ouvrages de terres canalisent l’embouchure des vallons et protègent la route des avalanches. Les 12 kilomètres entre 8 et 12 % me font penser au col de la Colombière par une belle journée d’été, les cyclistes apprécieraient. A. 1800 m d’altitude, on s’installe sur le parking mais il ne fait pas super chaud. Sans précipitation, nous chaussons bien emmitouflés. Les skis sont répartis et j’hérite d’une belle paire de Fischer pour mes premiers pas de ski de fond en Italie. Effectivement il y a beaucoup de Norvégiens. Ils ont installé un camp de fartage, vont et viennent sur l’esplanade à côté de la cabane des forfaits. Après avoir attendu à côté d’un immense gaillard qui n’était pas à notre échelle (sa tête dépassait la gouttière du toit !) je suis véritablement subjugué par un panorama de dingue ! Ce plateau n’est pas immense mais on voit sûrement à des centaines de kilomètres à la ronde. De la frontière Autrichienne à Trento un cordon de montagne s’étire à perte de vue. La limite de la neige est déjà très haute mais elle trace une ligne quasi infinie. Juste pour cette balade, venir valait vraiment le coup On skie quand même, et plutôt deux fois qu’une. Je me voyais pépère une petite heure mais vu le site, les potes ont des fourmis dans les jambes. Michel voulait encore grimper plus loin, mais au bout de deux heures la fronde de ceux qui ont très faim a pris le dessus, et les raccourcis !
En un rien de temps on était de nouveau dans le bus fermement décider à trouver un restaurant après un tel effort. Premier virage, premier arrêt, et c’est un coup de maitre. Superbe accueil, les lasagnes des copains avaient l’air divines, tout comme mon risotto. Et que dire du tiramisu, sinon qu’il était génial ! Nos niveaux sportifs sont sûrement différents, mais point de vue gourmandise, on est tous ex aequo ! Bien évidemment le café clos ce repas et nous allons ragaillardis nous poster dans Cavalèse, pas très loin du point course. Bien que nous ayons nos numéros en tête on vérifie quand même la longue liste des participants. Pourtant habitué des courses nordiques (cf engadine, transju, etc) je suis impressionné par l’organisation. Un long comptoir me permet de m’adresser en Italien à une jeune fille qui me remet en moins de trente secondes mon enveloppe contenant tout le nécessaire de course. Un peu frustré de la courte conversation je lui demande pourquoi elle boite ? Et nous voilà parti dans une causerie digne de ce nom ! Petite photo souvenir avant de repartir, et c’est là que l’on retrouve la formule Pavezzi. En effet pour sortir comme pour rentrer, on nous fait passer par des stands tout à l’effigie de la Marcialonga. En sweat, en miel, en chaussettes, la cinquantième du nom fait le plein de marketing et de merchandising.
Rompu à ce système, pendant que les autres craquent sur des textiles divers, je me laisse tenter par des gels énergétiques Overstim dont Baptiste m’a dit le plus grand bien. En marathon de ski de fond, je passe outre l’alimentation mais pour le double de temps il ne faut pas faire l’économie d’un en-cas. Il me faudra 4 gourdes qui seront à déguster tous les 15 kilomètres. Toutes sortes de boissons seront disponibles aux nombreux ravitaillements, alors inutile de me lancer dans d’autres liquides énergétiques, un caffè et l’addition. J’attends sur le perron mon groupetto et contemple la foule de sportif. Largement filiforme, scandinave ou Italienne, il y a aussi quantité de profils que je n’aurais jamais imaginé dans ce type de défi. Le côté populaire des courses de ski de fond m’a toujours impressionné, mais populaire à ce point c’est du jamais vu. Le skate demande une certaine force physique alors qu’en classique, si le besoin s’en fait sentir, on peut marcher. Conséquence, sur un malentendu tout le monde peut s’inscrire ! Avant de repartir Gérard veut me montrer le dernier kilomètre qui est en train d’être enneigé. Dans des ruelles à 15 % et des épingles à 180 ° le tapis de neige se déroule derrière les pelleteuses, les camions et les dameuses. Effectivement, ce n’est pas large et ça promet, « surtout qu’en dessous, au kilomètre précédent c’est pire ! ». Pas sûr d’avoir eu raison de faire cette reconnaissance, je me console en admirant, en face, l’Alpe de Cermis*. Cette station de ski alpin est aussi le théâtre d’une course de ski de fond démoniaque dont le final est situé au sommet d’une piste rouge !
Après un passage éclair au magasin d’usine La Sportiva (il était fermé), nous sommes de retour à l’hôtel. Une petite sieste s’impose avant de faire un tour en ville. Pendant que les autres s’affairent pour les tests de glisse de demain, je fais dans le local pour les souvenirs avec un bon morceau de speck et du parmesan acheté dans le premier magasin qui passe. Certains s’étonneront de cette attitude désinvolte mais j’avais choisi un séjour all inclusive dont bien évidemment le fartage faisait partie ! Les rues sont envahies par cette neige amenée depuis d’immenses carrières où, dès le mois de décembre, des canons neige travaillent sans relâche à produire suffisamment de volume pour assurer cette course. Cela ne perturbe pas beaucoup de monde, ni les écologistes ni les petites Panda 4X4 qui continuent de passer. Les magasins s’étalent sur la rue, les policiers restent de glace, les bars se font de neige. Par solidarité je passe au skiroom où l’atmosphère est studieuse avec 6 ou 8 paires de ski prêtes à skier pour demain. Ils m’expliquent. Mon univers de la poussette et du klister se limitant à 2 couleurs, j’approuve la stratégie sans comprendre, comme un cancre qui a raté la leçon sur le fartage.
* Delphine Claudel, née le 23 mars 1996 à Remiremont, est une fondeuse française. Spécialiste des courses de distance, elle est, le 8 janvier 2023, la première skieuse de fond française à remporter une épreuve de la Coupe du monde sur cette piste.