Une si longue marche !

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Une si longue marche !

Vous l'aurez bien cherché !

Quand le temps était beau, quand il était de miel, quand il était d’espoir et que rien ne m’effrayait, j’avais dit oui. Quand le Covid n’était qu’un scénario malhabile de film catastrophe, quand mes genoux n’avaient que quelques cicatrices de skieur alpin et pensaient que l’arthrose c’était pour les vieux, j’avais accepté cette longue marche. Pour un peu, j’aurais dit merci, parce qu’avoir un objectif ça vous forge un homme. Le mien démarrait ainsi, au cours d ‘une saison d’hiver ordinaire, en plein milieu des marathons de ski de fond enchainés à pas de skating. Cet objectif m’ouvrait un nouvel horizon, étanchait une soif de nouveauté et dépassait courageusement la limite de ma zone de confort puisqu’il s’agissait de faire 70 kilomètres en ski de fond mode alternatif, là-bas en Italie, une course dont le titre est déjà tout un programme : La Marcialonga.

Quand le temps est devenu pale, quand il a bégayé les saisons, il était trop tard pour faire machine arrière. Quand l’air est redevenu vivable, les années étaient passées sur mes épaules jusqu’à les affaisser, mais la longue marche était revenue. Une convocation en bonne et due forme, par mail, pour la cinquantième édition de cette course en Italie, le long du val di Fassa. L’objectif avait disparu comme une lettre dont l’adresse griffonnée au crayon papier s’est mystérieusement effacée. J’ai d’abord cherché par tous les moyens de m’en échapper. Après un an de sursis pour cause de covid, une année en cassation pour cause de méforme, les ultimes arguments avancés ne s’avoueront pas même devant votre insistante cour d’assise. J’ai donc fini par me résoudre à faire cette si longue marche, seulement pour pouvoir honorer un engagement.

Il fallut d’abord se remettre en selle. Celle de cheval ne m’ayant jamais vraiment attirée, celle du vélo se présentait bien. Je repris le chemin du col de l’Arpettaz par petit plateau à la montée et en 52/12 à la descente. Et puis la panne sèche, perte du gout de l’effort, de l’odorat de la compétition. Les escapades en alpages d‘une heure à peine, fatiguaient mon envie d’aller plus loin. Seule la solitude en montagne et la construction de murets en pierre sèches trouvaient grâce à l’emploi du temps. Les mois d’automne se sont avancés, de bois et de feuilleton télévisés j’ai procrastiné avant de retrouver la matière première qui brillait de mon absence.

Blanche, granuleuse, verglacée le matin, soupe au lait le soir, courte, elle mettait peu de bonne volonté à m’ouvrir la voie du bonheur. De cette neige à snowfarming, sur un anneau d’un kilomètre, j’ai réappris à marcher. Au milieu des champions venus de toute la France pour se faire les dents, j’ai fait du classique. Par petites enjambées, le rail des traces de la dameuse pour tout horizon, il fallut tourner en rond jusqu’à l’abrutissement. Je claudiquais un tour pendant qu’ils en faisaient deux, mais les erreurs comme la jambe qui zippe ou le bâton qui se plante en déséquilibre dans le bas-côté, sont devenues moins fréquentes. L’oreille s’est habituée à cette musique, c’était l’heure Spotify. Evasion quasi mystique, prodiguée par une intelligence artificielle, capable de voir mes émotions et mes humeurs sur ces skis de fond si particuliers. La tête vide et l’estomac à sec, la nuit me ramenait entre chien et loup, pour me soigner.

Après deux semaines à cette cadence, l’interligne du genou gauche était si douloureuse qu’un simple effleurement me faisait m’assoir. Le stop s’est imposé. De toute façon l’anneau était devenu trop petit pour passer au petit doigt. En repos forcé, la neige n’est pas venue pour autant, et il y avait moins de regrets. Les plantes, les tisanes, les cataplasmes, se sont relayés. Le boulot a amené l’oubli, je n’étais toujours pas prêt à affronter l’échéance de cette longue marche. Peu de gens ont eu la vertu de déceler le vide qui a failli s’installer, un burn out pour ne pas le citer aurait bien volontiers été de la partie, heureusement l’état d’esprit a changé. Comment c’est arrivé ? Difficile à dire. Le confort a dépassé sa date de rédemption et la vie se remplissait à nouveau. De Quart d’heure en demi-heure, supporter la douleur est devenu familier. Dans la foulée, le seuil de l’heure puis celui des deux heures sans s’arrêter a été franchi. La neige arrivée puis repartie, nous a laissé suffisamment de place pour s’amuser. Notre bac à neige de 10 kilomètres de long était une aubaine comparée aux stations de skis des alentours. Avec l’apprentissage du geste, le ski de fond est resté un plaisir.

Sans savoir si le 70ième kilomètre de la Marcialonga serait un jour franchi, les proches puis les moins proches ont été informés de ce challenge un peu fou. Parler et avouer être bientôt au départ a eu un effet cliquet. Ce point de non-retour est un processus infaillible pour me conduire vers les portillons de départ, qu’il soit à Moena au kilomètre zéro de ce défi, ou pour tous les autres paris lancés dans ma carrière. Afin de parvenir au bout de la course sans avoir à faire une si longue distance à l’entraînement, le palier de validation était fixé à 3 heures. Cette durée endurée aux Saisies équivalait à mon sens aux 5 ou 6 heures qu’il me faudrait tout au long du Val di Fiemme pour finir la Marcialonga. Je m’en suis approché à plusieurs reprises sans jamais le dépasser. En ayant les jambes pour durer plus longtemps, à une semaine du départ, j’ai considéré être prêt.