Bessans transition.

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Bessans transition.

Bessans transition. La 1215 ième et dernière page d’un roman social à rallonge n’était pas encore tournée que déjà, la rentrée des classes s’annonçait. Bien lové dans mon working chair de bureau, après avoir lu mes 50 tomes de « l’embauche pour les nuls », je divaguais à mes occupations économiques, quand la neige fût revenue. Encore dans les grandes vacances sportives, au grand dam de mon proviseur*, je restais hostile à tout effort et fermais les yeux devant les premières traces de damage de mon domaine universitaire nordique, préférant courir après les aphorismes plutôt qu’après les faux rythmes. (Ah, je vois que pour certains une lumière vient de s’allumer alors que d’autres ont plutôt envie de l’éteindre !).

Tranquillement installé dans les méandres du bien vivre depuis ce sombre 21 juillet 2019**, après avoir passé des mois d’école buissonnière, je ne pouvais pas croire ce mail qui m’informait d’une rentrée imminente de la saison de ski de fond. Peur du grand méchant blues, besoin de se défouler, mais par tous les démons du cholestérol et de l’arthrose, faudrait pas rater ça monsieur le retraité !

Bessans transition, au crayon de papier et à la carte bleue, j’inscrivais mon nom sur les listes de ce premier marathon de la saison, une 11 ième rentrée dans la cour des grandes distances, option Maurienne. Sous quinzaine il fallut cotiser, se licencier, prendre pension et se mettre à niveau. Un Benjamin très attentionné me fît une surprise de taille pour m’offrir non pas un nouveau cartable mais de nouveaux souliers, en carbone et à la bonne taille. Remplissant à la hâte mes devoirs de vacances par de belles lignes de skating bien appliquées, je suis même allé jusqu’à réviser mes capacités par quelques exercices d’intensité. Quelques frises bien senties, dessinées avec le son feutré des nuits tombantes sur mon cahier d’entraînement. Pas de quoi fouetter un chat rassurez-vous puisque je n’ai pas de cahier, et encore moins une marmotte skateuse puisque j’ai mangé trop de chocolat, mais j’avais de quoi ambitionner un classement honorable. En revanche, pas besoin de sortir de St Cyr pour savoir que je ne serai pas le premier de la classe cette année encore. Pas facile de repartir sans tergiverser dans le mélo. Par le jeu des catégories, des grands et des petits, je vais me retrouver avec des légèrement plus vieux qui sont bien plus fort que moi. Caliméro chez les M6, c’est vraiment trop injuste. Pas facile non plus de reprendre le chemin des écritures, de reprendre son clavier sous le bras pour cette nouvelle rentrée. Avec tout ce qu’il s’est passé ces dernières semaines, le cancre qui sommeille en moi aimerais bien couler des jours plus heureux sous les marronniers du journalisme.

Le cachet de la prose ne faisant pas foi, j’écris en réalité en mars à la lueur de mes souvenirs de janvier. Pas facile d’être drôle ou seulement enjoué quand le mois dernier j’apprenais les agressions sexuelles dont avait été victime une amie qui m’est chère***. Concerné, militant, j’ai plaidé comme j’ai pu à travers le temps pour faire résonner son cri qui ne me laissera plus jamais indifférent. Mon chemin de skieur alpin était mieux protégé que le sien et des gens bienveillants m’ont donné plus de chance pour réussir. Ce chapitre ne peut pas se clore mais pour les besoins du rectorat nordique je passe donc aux jours suivants.

L’avant-veille de Bessans, je trouvais un pensionnat pas trop loin de l’épreuve écrite et contactais mon équipementier habituel pour glisser (!) de jolis stylos dans ma trousse de ski. Malgré les grosses coupes budgétaires qui ont disséminé mon ancienne classe aux quatre coins de la planète nordique, rendez-vous était pris pour le lendemain matin, juste avant l’ouverture des grilles de départ.

La veille, en faisant l’inventaire des fournitures scolaires sur l’autoroute de Maurienne, il ne me manquait rien à l’appel, pourtant un curieux malaise me prenait aux tripes, le sentiment de me présenter nu devant cette saison, une peur panique d’avoir oublié l’essentiel. En installant la commande de régulateur de vitesse, j’ai su ce que c’était : mon minibus. Celui de toute mes virées fondamentales, celui qui se transformait en cabine d’essayage, en salle de fartage, en salle hors sac, en salle de repos, en bazar ambulant, en dépotoir de chantier, en coursier pur-sang, en moment de confinement les jours de pluie, en sèche chaussure, en conseiller stratégique, celui de mes débuts, de mes déboires, le point de départ et d’arrivée de toute mes escapades, mon bus magique, mon doudou mécanique n’est plus là, n’est plus de cette histoire. Force est de constater qu’il n’y a pas mis du sien non plus. D’ennuis mécaniques en problèmes électriques il m’a présenté des factures de frais faramineuses et il faisait une consommation de pneus de manière addictive. Sans me douter que cet hiver je le retrouverai transformé en fantôme sur ma route, il a disparu de la circulation au mois de septembre il me semble. Je le regrettais un peu ce jour-là, mais il fallait faire sans, les grands n’ont plus de doudou, ou alors bien caché.

J’ai atterri sur Bessans vers 19h, le temps de récupérer en vieux de la vieille mon uniforme de dossard et mon paquetage (numéro 178, un bandeau, une brochure publicitaire, un sac poubelle, un crayon de papier, un ticket repas) avant de descendre seul dans ce pensionnat 3 étoiles. Les affaires installées dans la chambre, à 8 heures je rejoignais le réfectoire. La frugalité n’a jamais été de coutume dans mes études mais je me suis fendu d’un repas végétarien de toute bonté avant d’essayer de dormir, mais comment roupiller une veille de rentrée ?  Des poubelles que l’on transvase et des attardés de soirée perturbent un peu mon isolement, mais passons là ces détails même pas croustillants pour nous retrouver le matin de cette première course de la saison, il est 8 heures du matin devant le foyer de ski de fond de Bessans, il fait -12°, le soleil n’est pas encore levé dans cette contrée.

C’est vraiment la grande rentrée. On retrouve les copains, on discute, on blague, on se trouve changé mais on ne le dit pas. De tous les coins d’Europe, du Cantal à la Lozère, chacun est venu pour cette première épreuve écrite de la saison. Exactement au rendez-vous, Sylvain me donne une magnifique paire de skis prête à glisser. Je ne sais pas s’il le sait mais pour moi elle est bien plus que ça, elle est à la fois un gouter, une calculette, des crayons de couleur et un doudou. A quelques minutes de la cloche, chacun rejoint sa classe. On court, on s’affole, pour trouver le bon sas et puis on s’installe en rang par 8. Les skis sont posés dans les traces, on regarde devant pour trouver un complice, se faire coucou dans la contre-allée. On chante, allons enfants de la tyrannie, un marathon aux abois et cetera. La cloche sonne et il faut bûcher, vous avez deux heures, à peu près.

Soigner sa présentation devant le public au bord de la piste, installer ses pinceaux pour ne pas se faire marcher dessus, prendre de la marge, dessiner une stratégie, contrôler la grammaire des pas du skating, vérifier l’orthographe pour ne pas oublier un planté de bâton ni un accord avec son voisin. Je reconnais qu’il faut parfois lorgner la copie du gars de devant pour rester à l’abri mais je fais le boulot et me met dans l’épreuve avec entrain. Les skis glissent tout seuls, les idées fusent, je suis dans la verve d’un premier groupe, puis la terminaison d’un deuxième groupe avant de me stabiliser au milieu d’un troisième, prêt à finir en ire, commençant à conjuguer avec la fatigue. Dommage, le premier tour n’est pas encore terminé.  En accord avec mes participations passées, je prends un repos à chacun des ravitaillements où des auxiliaires bénévoles m’encouragent. Je connais par cœur cette épreuve. L’ombre d’une feuille blanche, les grandes lignes sur les bras, les bords de l’Arc de cercle, les synonymes du froid et du temps qui passe, la synthèse du retour sur la route du Mont Cenis et puis la ponctuation avec ces trois petites montées au-dessus du pas de tir du biathlon.

Les choses s’écrivent et je tiens mon idée. Après le paragraphe sur les questionnements je boucle le premier tour en moins d’une heure ce qui est loin d’être ridicule. Dans cette évaluation à mi-parcours, j’ai même de nouveaux développements pour aller chercher un résultat. Mes maux glissent tranquillement et j’échappe à ce groupe qui me servait de valeur refuge. Après quelques écarts de langage seul contre moi-même, je rejoins un groupe de sujets qui sont en fait de vieilles connaissances. On parle pour ne rien dire, on veut seulement savoir si le souffle est court de l’autre côté. Je sors ma calculette et le résultat est formel, je dois rester avec eux si je veux terminer ma rédaction. L’explication se fera donc sur la route du Mont Cenis dans ce kilomètre de vérité où l’on se présente en deux lignes serrées.

L’avantage du dernier arrivé, c’est d’avoir toutes les stratégies possibles et l’avenir devant soi. Je me place, change d’opinion comme de file, contourne les écueils de la précipitation et des concurrents ralentisseurs. On n’est plus au CE1, le ton monte, le dénouement est proche, le souffle acerbe et la phrase n’a plus de complément d’oxygène mais c’est finalement moi qui suis aux commandes à la sortie. Avant de retourner le jury, il reste 2 kilomètres. Je relis pour la troisième fois le passage où l’on surplombe le pas de tir, il faut passer à l’intérieur et de conjoncture en coordination, décroche mon ultime adversaire. Sans conditionnel je fonce vers l’arrivée en sprintant, tout heureux de rendre ma copie de ce Marathon de Bessans en 2h01, 74 ième du classement général, troisième de catégorie et un beau 20 km/h de moyenne.

C’est maintenant l’heure de la récré. Je vais rendre mes skis de plume, chamailler et me faire chambrer dans cette grande cour, remercier à tour de bras en même temps que je prendrais mon gouter. Je vais jeter mon bonnet en l’air parce que c’était trop bien, répondre aux sms des enfants qui veulent savoir mon classement fille, jouer à chat perché dans cette magnifique Maurienne, acheter du bleu de Termignon en guise de diplôme et vous dire : vive la rentrée. *lire « Décrochage » si vous le pouvez **lire « Finisher or no Finisher » si vous le voulez ***Lire « Coco » même si je dois vous supplier.