Le chemin des pommiers

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Le chemin des pommiers

Il est de ces chemins qui n’ont l’air de rien, un petit pas de côté hors des sentiers battus, une virgule dans une meule de foin. Il est de ces chemins de traverses dont je raffole, une de ces anomalies de route qui font ma renommée dans le monde des cyclotouristes de bas étage. Il est de ces chemins qui vous découvre un horizon à portée de pédales, une aventure au bar du coin, un raccourci vers tout ce que l’on vous a appris. Il est de ces chemins comme une école buissonnière, à cent lieues des moyennes infernales, très loin des grands plateaux à 53 dents ou même des petits pignons sur rue. Il est de ces histoires à deux francs où je me vautre régulièrement, entre farce et attrape, au milieu des coussins de bonne humeur et des boites à meuh.

Inutile de le chercher, il ne vous servira à rien. Sauf si vous êtes perdus un jour de fatigue sur votre vélo, entre la Forclaz et là-haut. Il est de pierres et de ruisseaux, de champs hauts perchés et tout penchés, de chalets de montagne, de maison de campagne, de prêle et de serpolet, de frênes et d’épicéas. Ne vous précipitez pas trop, malgré tout ce que j’en dit, il n’est pas paradisiaque. Sauf si vous êtes à la recherche de quelques kilomètres supplémentaires et d’une nouvelle embrouille, il est banal, de poussière et de nid de poule, large, puisqu’il trace la route pour un tracteur, surplombe la vallée au loin vers Albertville et alimente au moins un bachal, ça c’est un autochtone qui me l’a dit. Ce n’est pas la peine de le retrouver, il ne mène à rien. Sauf si vous en êtes réduits à calculer le dénivelé d’un escalier sans fin entre midi et quatorze-heure, sauf si vous voulez faire un magistral coup de bluff auprès de vos afficionados, comprenez qu’il n’est pas en cul de sac et c’est là son essentiel.

Il ne s’est pas livré du premier coup. Marche avant, marche arrière, dans les ornières d’un très lointain cousin muletier, une montée en épingle à cheveux pour rien. Le doute platane quand le plan traçait une ligne droite raisonnable dans la forêt. Piocher l’info dans l’appli de secours mais sans la 4G, se faire une raison et un demi-tour en même temps, établir un constat à l’amiable et se dire que c’est exactement la situation que je cherchais. Le seul toit de chaume du Beaufortain et le très vieux four à pain qui ne manque pas de sel, serviront de témoins pour cette lune de miel.

Un éclat de rire, des chèvres spectatrices respectueuses de la distanciation sociale et des clochettes apeurées de m’entendre chanter « plus la peine de frimer » (Bill DERAIME). Redescendre, recommencer un peu plus loin, en lisant les panneaux indicatifs cette fois, parce que la boussole et le sextant ont été habilement remplacés par un petit outil de réparation plus performant qu’un couteau Suisse mais qui n’oriente pas vraiment. Pour ma défense on pourrait aussi dire qu’il y avait publicité mensongère sous le bois car hormis quelques noyaux de cerise et des ronces affriolantes, je n’ai vu aucun pommier aux alentours.

Il n’y a que moi pour traîner des jantes carbones sur ce terrain miné et je suis bien le seul brise-fer pour emmener mon carrosse à deux roues sur un chemin de naguère. Déguisement de bonne fortune, la cale pleine d’une petite barre de céréale au chocolat, d’une gourde d’eau remplie a ras bord, avec ma cassette pour grimper aux murs et ma carte d’état-major dans la tête, j’ai fière allure si l’on peut dire. Parce que je suis bien certain qu’aucun cycliste averti ne passa par ici auparavant. Si jadis je fus le Magellan des Bauges, le Christophe Colomb du Val Coisin et bien aujourd’hui, pas de quartier Jacques, me voilà capitaine Cook sur le chemin des pommiers du Beaufortain. En plus du flegme, j’ai aussi hérité de la chance de l’immense cartographe du Pacifique. Contournant les baignoires de tout-venant et les accotements non stabilisés sans même penser à une crevaison, de gué en gué me voilà traversé tel que c’était prévu. Une plage de gravillon m’accueille à l'embouchure, preuve d’une civilisation toute proche et d’un savoir-faire ancestral ! En deux ou trois bords me voilà revenu sur mon tour du monde habituel, là où il faut ferrer les poules et où l’on peut toucher les toits du bout des doigts. Entre chapelle et Cognassiers, le Mirantin se dresse comme un miroir, je suis encore loin du channel de ma capitale mais plus proche de la fin car cette fois le raccourci a fonctionné dans un principe de base que j’ai tendance à oublier : gagner du temps.

Le triomphe modeste, la route reprend ses droits qui s’élèvent rapidement à 12% si j’en juge la vitesse utilisée. Perso je vais bien, mais la musique entame une coupure pub définitive à cause d’une batterie fatiguée (celle de mon i phone 5 je précise). Rangement d’écoutilles, encore quelques jeux de mots et je serai rentré. L’Alpha (marque de mon vélo) ne fait pas son Roméo, il manque encore de chevaux si tôt dans la saison. Eviter les écueils de type alphatigable, même si c'est joli pour un nom de bateau, ou alpha get 27, car certains préfèreront le 31. Au Mont, il blondit plus qu’il ne bondit, histoire de rebondir sur mon problème de musique. Aux chalets de la Mollire, il récite et répète l’Alpha bête. Après Bisanne 1500 l’Alpha manque d’oméga et dénigre l’invitation pour passer sur la route des filles. Il me dit qu’il fera le mâle alpha une prochaine fois, 3 heures de vélo ça suffit, i’am so Cook !

Il est de ces chemins que je referai. Une parenthèse dans un confinement, un changement d’adresse dans mon emploi du temps, un dépaysement hors connexion. Même s’il n’est pas le plus ni le moins, il est de ces chemins que j’écrirai. Marronniers d’inde ou de journaliste, manguier de quelques pages, confident à l’ombre de mes pensées pour reprendre le gout de l’écriture. Sauf si je suis pressé.