Coucou, nouvel épisode pour une si longue marche qui se termine bientôt...
Adopte un rythme. Adopte un skieur pour le suivre, les autres se sont éparpillés dans la nature et c’est mieux comme ça. Pas de challenge ni de promesses que l’on ne peut pas tenir. Rester au seuil, prendre une cadence pour tenir pendant 5 heures, en sachant que pendant 20 bornes on va monter, pendant 45 on va descendre et puis monter les 5 derniers kilomètres.
Dans les rues de Moena, l’ambiance est festive mais il est impossible d’en profiter tellement il faut être vigilant, les radars de position s’allument à tous bout de champs. En définitive, le parcours a été modifié et il n’y aura pas de descente. Dans la neige brassée il faut encore et toujours monter. L’accroche est bonne, presque trop bonne, et en guise de rythme, pas de bile, de toute façon il faut marcher en canard ! On dirait les vacances à la mer. Rouler, bouchon, rouler, péage, bonne ou mauvaise file !? Ravitaillement, rouler, pause pipi, calmer les gosses, bouchon ; à quand la plage !? Je reconnais les paysages, le passage où nous avions fait le premier test, et on s’enfonce de plus en plus loin dans la vallée. Les voitures que j’avais dépassée dans les forts pourcentages me doublent à leur tour sur les replats, la fenêtre ouverte, à fond de cinquième en poussée simultanée. Les montagnes s’illuminent d’un soleil radieux, les grandes falaises presque blanches se réchauffent au-dessus des villages. Nous restons tapis dans l’ombre. Le trafic est déjà plus clairsemé sur notre autoroute. Sans prévenir, une voie se termine, par manque de place il n’y avait pas de signalétique. En guise de warning, chacun lève la main pour prévenir le ralentissement, sauf les blaireaux qui passent à l’arrache et laissent un joli carambolage derrière eux. Les panneaux kilométriques s’égrènent régulièrement et on rentre bientôt dans Canazei, km 18, point haut du parcours. Le soleil est au rendez-vous, la foule aussi. Fanfare locale et fan club se disputent le plus gros son, l’ambiance est folle. Comme je vais le voir tout au long des 70 kilomètres, les gens applaudissent le geste du style classique. Pas peu fier j’entends des « bello », « bravo » qui me sont personnellement destinés. En tout cas, plus qu’aux pousseurs. La piste est tellement défoncée que l’on dirait l’enduro du Touquet. « Tu verras il faut faire le tour de la mairie et après c’est que de la descente ». Sagement dans les roues et le nez dans le sable, je me contente de tenir les skis et les chevilles. Les ornières submergent tout de la spatule au talon, engloutissent les paniers des bâtons et remplissent mes lunettes d’écume de mer. Une fois le rond-point accompli je trouve une place de parking pour engloutir le premier gel et relever les lunettes. Seulement, les doigts engourdis et la fébrilité ambiante font que le bouchon me résiste. Un couple, la cinquantaine, s’approche et me demande si « tuto va bene ? ».
Vous me connaissez, italien au collège et tutti quanti, si bien que nous voilà à papoter au bord de la route en expliquant nos petites histoires. Pour abréger la discussion, j’ai remballé mon gel vide et fait une pause pipi plus loin ! De nouveau dans l’ombre, c’est à partir de là que je me suis rendu compte que je ne glissais pas très bien. Les skateurs dépassaient cannes sous les bras mais ce n’était pas une surprise. En revanche, pour rester sur les talons des skieurs classiques c’était moins logique car je devais pousser deux fois pour une. Sur les faux plats c’était encore plus flagrant puisque je m’embarquais régulièrement dans un beau mouvement alternatif pendant qu’eux continuaient en pas de un*.
Conscient de ma vitesse, j’utilise souvent la voie lente. A droite ou à gauche selon la configuration du terrain, j’y retrouve une catégorie particulière dont j’ai largement eu le temps d’étudier la composition, « les historiques ». Ce groupe se divise en deux parties, les anciens et les folkloriques, eux même divisés en deux groupes, les fantasques et les héroïques. Les anciens sont au moins septuagénaires et très bien conservés. Dans un style parfait, ils filent droits et font la course. Les fantasques ont des tenues de lapin ou d’abeille, s’arrêtent voir leurs potes au bord de route et boivent de la grappa à tour de bras. Les héroïques sont en costumes d’époques, avec les matériels des années soixante, soixante-dix. Grosses rondelles aux bâtons de bois, tenues en laine, chaussettes montantes et bonnet de travers, ils sont la mémoire et l’histoire de cette course. Personne ne se plaint de leur présence, évoquant le respect d’un tel effort.
En arrivant à Pozza di Fassa, le comité d’accueil nous ouvre véritablement ses portes car dans ce village la station essence (le ravito) est située sous un chapiteau. Au milieu du brouhaha de l'harmonie locale et de sa grosse caisse, comme à chaque fois, je prends le temps de poser mes bâtons avant de saisir un thé ou une boisson énergétique dont je dépose le gobelet dans un sac poubelle. Là aussi, tout au long du parcours les consignes de propreté sont plutôt respectées. Zone de ravitaillement, de dépose des déchets, de fartage ou de réparation technique, rien n’est laissé au hasard ni au bord de la route. En repartant, petit coup d’œil à la piste de course de ski alpin qui nous observe. Tellement proche. Tellement loin.
Après avoir dépassé le fameux poteau 44 sans encombre, sans douleur et sans ras le bol, le premier morceau de bravoure se présente, une montée sèche avant Moena. Nous sommes sur la rive droite, voici l’Infinita, km 32. Malgré le fart de retenue qui aurait permis une grimpée aérienne, la file d’attente me contraint au canard. On est à la queue leuleu sur deux files, tels des touristes qui arrivent à la montagne lors d’un chassé-croisé de février. Sans me départir du sourire, on piétine jusqu’au sommet dans la seule inquiétude de ne pas marcher sur les skis de son voisin. La dernière longueur se fait sur une seule passe et ne demande qu’un peu de patience et un clin d’oeil au photographe. Massé dans la falaise, il y a du monde comme au sommet d’un col première catégorie, j’imagine comment sera le final dans du hors catégorie. Le pouls au maximum, on traverse quelques instants à flanc de montagne et puis on plonge à pic.
La descente est sévère. La pente est correcte mais à force de passer en chasse-neige, nos prédécesseurs ont fait des couloirs verglacés pas piqués des vers. En serrant les dents, je tente le tout pour le tout, skis parallèles par le couloir le plus libre mais aussi le plus gelé. Y’a pas eu de chute mais cela ne me reprendra pas ! En me demandant comment je ne suis pas tombé, je m’inquiète pour les prochains milliers de skieurs qui vont passer par là. Pour l’instant ils sont sur la rive gauche, grimpent tranquillement et ne se doutent pas encore de ce qui les attend ici. Il est temps de me rendre compte que j’ai de la chance. Gérard m’a pistonné pour ce dossard privilégié, m’autorisant à partir dans les premières vagues alors que mon niveau est probablement avec ceux d’en face ! Autre constat, le peloton est réparti sur 35 kilomètres. 7000 divisé par 35 ça fait combien au kilomètres ? Les maths m’ont toujours fait patienter. Kilomètre 42, à partir d'ici l'amateur de marathon est en terra incognita. Si je me souviens bien, la suite est plus simple, faux plat descendant jusqu’à Predazzo.
*Le pas de un, c’est un pas intermédiaire entre la poussée et l’alternatif. Il est utilisé lorsque la vitesse n’est pas suffisante en poussée mais trop importante en alternatif. Souvent pratiqué en plat montant, ce pas a justement pour particularité de mixer les deux pas précédemment énoncés (pas alternatif/poussée simultanée). En effet, il faut effectuer une poussée simultanée des deux bras en même temps qu’une poussée de jambe. Dans l’idéal, on alterne la jambe à chaque fois. Son exécution demande un bon niveau technique et de coordination, c’est pourquoi il est majoritairement utilisé par de bons skieurs.