Dans mon Alpha Jet

· 5 minutes de lecture
Dans mon Alpha Jet

Il est arrivé dans un carton, en kit, le cadre phosphorescent, le pédalier d’un côté, les roues de l’autre. Un chef mécanicien allait arriver pour l’assemblage mais à première vue, il lui manquait des pneus en état de fonctionner et la patte de dérailleur battait de l’aile. Comme promis, une semaine plus tard, le mécano postural fît son apparition et m’installait dans le futur poste de pilotage suivant mes mensurations. Dans le hall de la location de ski qui ressemble à un hangar, au milieu d’écrans en tout genre, il m’a fait mettre en caleçon pour suspendre la potence et régler les potentiomètres à la puissance de mes guiboles déconfites, de mes genoux cagneux, de mon dos recroquevillé. Au bout d’une heure, j’en ressortais équilibré comme un top gun de la belle époque, l’étincelle coquine sur les Ray-Ban, le blouson d’aviateur sur l’épaule, prêt à chanter “take my breathe away”.

Des cales de chaussure au cockpit pas un rivet ne dépassait mais il me manquait encore l’essentiel pour décoller, de la gomme sur mes pneus ! Le précédent pilote avait roulé trop longtemps sur le tarmac ou avait fait un stop and go avec le train d’atterrissage bloqué si bien que j’étais contraint de ronger mes G dans mon coin encore quelques jours. Sans tarder, je lançais une contre visite chez un spécialiste de l’armement cycliste qui changeait en express la cassette de dérailleur pour me permettre de tournoyer au milieu des montagnes comme un mirage de la patrouille Suisse, et aussi les patins de frein pour fonctionner avec des jantes en carbone, la chaine et d’autres trucs moins utiles comme un porte gourde ou le câble de dérailleur pour le rendre encore plus profilé. Le SRAM (système de changement de vitesse) millimétré, j’allais enfin fuser sur le bitume, affronter l’Eiger, la Jungfrau, l’étape du tour et tous les cols de la planète vélo.

Incapable d’attendre plus longtemps une première sortie, j’allais déployer immédiatement mes ailes sur le corridor aérien de la piste cyclable la plus proche, celle entre Gilly et Aiton. Loin des regards des aiguilleurs du fiel toujours prompts à épier mes déplacements pour me dire que mon plan de vol n'était pas à la hauteur, j’imaginais pouvoir mettre les moteurs à fond et cracher ma VO2 max en quelques tours de jambes. La prise de commande fût difficile. Habitué aux vélos en tout genre, je me suis rapidement aperçu qu’il reléguait mes précédentes montures au rang des biplans d’avant guerre et avec son cadre qui brille dans la nuit on était plus proche d’une soucoupe volante que d’un vélo d’appartement. Mon brevet de pilote réussi au temps des vitesses au cadre suffisait tout juste à comprendre comment tenir debout et le moindre appui sur les pédales se traduisait par un à-coup qui me faisait hocher de la tête avec mon casque. J’ai même pensé qu’il y avait un problème de roue pas vraiment ronde (!), mais je me suis habitué. Au bout de la piste, j’ai bifurqué sur la route des vins du cru pour constater qu’il encaissait les côtes (rôties !), la tour de contrôle du Château de Miolans m’ouvrait le chemin du retour mais malgré la pluie, je choisissais de faire un détour, de prendre de l’altitude en grimpant jusqu’au Col de Tamié. Cette fois j’ai constaté que ce n’était pas le vélo qui toussotait mais mes jambes. Tout juste sorties de l’hiver, plus habituées à glisser qu’à rouler, elles avaient du mal à prendre les tours. Heureusement il y avait tout un été pour les former ! Quant au moteur cardio, il tournait comme une horloge à une allure de croisière, carburait au kérosène enrichi par une saison de ski de fond. Heureusement il y avait tout un été pour le fatiguer ! J’ai fait un demi-tour droite serré pour rentrer à l’aéroport mais à la première épingle, j’ai dû sortir les aérofreins à pied pour ne pas faire un looping ! Sous la pluie avec des jantes carbones, il faut une piste bien plus longue que celle d’un porte avion pour s’arrêter. Dorénavant je le saurai. En approche prudente je suis arrivé à destination. Le coffre de mon minibus en guise de hangar, j’imaginais ma saison sur cet Alpha jet de compèt, j’étais prêt à me balader quand je le voudrais, enfilant les miles de bonus sur ma carte de cycliste amateur, j’allais tourner comme une hélice sur les routes du  tour de France. Conscient de mes lacunes, je me promettais des vols réguliers, des caps à franchir, des escales, des missions de reconnaissance pour aborder sereinement les parcours des cyclosportives et tenir mon rôle de leader au sein d’une modeste escadrille basée dans la Loire.

Je pourrais vous raconter chaque balade sur l’horizon tellement j’ai vécu intensément ces heures de vol, mais on n’a pas le temps. Les miles se sont accumulés, mon programme en dents de scie s’accommodait avec la météo et les correspondances professionnelles. Le coffre était toujours prêt à s’ouvrir pour laisser bondir l’avion à réaction, avec une seule constante à tenir tout au long de l’été, une sortie vélo ne se fait jamais sans un col ! Avec ma nouvelle tenue d’aviateur, entre les vols humanitaires pour accompagner mes apprentis cyclistes et quelques écarts en terres Luxembourgeoises, le manche à balai m’a conduit sur 2800 kilomètres entre le 20 mai et le 26 octobre, l’un de mes meilleurs scores jamais réalisé, y compris quand j’étais dans la patrouille de France. J’ai réussi de beaux piqués, des 4 (cols) à la suite, fini quelques sorties sur la réserve, beaucoup rigolé, beaucoup transpiré mais je n’aurais échangé mon boarding pass pour rien au monde !

Aujourd’hui, au lendemain de ma dernière mission (un bel aller retour Albertville Faverges sur les pentes du Tamié, juste avant la tempête), il faut que je remballe mon Alpha Jet. Mon mécène ne me réclame rien mais je n’ai pas assez de place dans mon coffre hangar, je dois y transférer mes skis de fond.

Cher Christophe Boze, je ne peux que te dire mille mercis. http://www.alpha-bike.fr/fr/ https://www.youtube.com/watch?v=fUis9yny_lI Olivier Fiocca