Le petit Trianon 3/3

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Le petit Trianon 3/3

Il n’allait pas se perdre car la triangulation de ses souvenirs venait naturellement à son secours pour se repérer dans ce dédale de perdition. Il n’avait pas peur non plus, ni du loup ni des rodeurs de grands chemins et, même avec un appétit d’ogre, la Droséra carnivore ne pouvait pas le manger. Le danger était plutôt du côté de ses pieds car il faisait si noir que les embardées s’accumulaient. Une fois en arrière, une fois dans un trou, s’enfonçant dans les Sphaignes spongieuses, heurtant un caillou, il faisait appel à tous ses sens pour rester debout. Des âmes bien nées auraient emporté des lampes frontale bien rechargées, des montres GPS capables de vous retrouver au fin fond d’une cale, mais toute la cour peut en témoigner, il ne porte jamais ces engins du diable, ni en vélo ni ailleurs, il aime l’instinct et la liberté.

On dit que la pensée induit la réalité si bien qu’à force d’y penser, la chose arrivât, sur une racine mal agencée, il dérapa. Dans un bouge qui pouvait prétendre être une flaque, un caillou s’y prélassait, attendant son heure de gloire, il affleurait, sans que l’on puisse le voir, même de près. Sitôt posée dessus, la malléole externe se trouva fort dépourvue, la bobinette se figea et la cheville s’étira aurait dit le chaperon rouge blême et fourbu. Il connaissait cette douleur pour l’avoir expérimentée à maintes reprises, après l’éclair intense et la surprise, on essaie de voler, de s’accrocher à l’air pour ne pas retomber et on espère avoir eu suffisamment de réflexe pour ne pas être trop abimé. Dans un cri d’effraie il jura tant et plus,  s’en prenant aux coureuses de rempart et surtout à sa propre personne de l’avoir porté en ces lieux.

Les premiers appuis suivants vous donnent immédiatement une réponse. La sienne était tolérable et le diagnostique prît la mention « pas trop grave » mais il savait bien que le temps était compté, il avait encore une accoutumance parce que la cheville était échauffée. Se courbant pour apercevoir ses pieds, sans s’égarer au milieu des bois, à pas de loup il fallait continuer et ne pas finir chevrette de Mr Seguin. Heureusement, le bout du parcours n’était plus très loin. Claudiquant sur une jambe, il fallait encore faire attention aux caillebottis avec leurs marches assassines, jouer au pixopathe* car même les derniers rayons d’obscurité ne parvenaient plus à traverser sa rétine. Il faisait si noir sous les bois dans cette nuit sans lune qu’au bout d’un moment, même la narration le perdit de vue.

*Un pixopathe est un chercheur de pixel. Il se doit de déceler la moindre parcelle de jour pour la mélanger avec ses sensations et ses souvenirs. Il créer ainsi une virtualité parfaitement exploitable, à la manière des skieurs se remémorant un parcours. Rien à voir avec un chiropracteur ou un ostéopathe, chargés eux de faire recouvrer une santé à partir d’une réalité imparfaitement exploitable.

Ceci étant précisé, c’est à croire qu’il eu la vision d’un chat, car, tenez, le revoilà, foulant l’herbe à la recherche de ses clés, jurant devant on ne sait quelle péripatéticienne qu’il les avait déposées dans ce coin. Il avait besoin de lumière mais comme il avait laissé tout type d’éclairage à l’intérieur de son voiturage, c’est bien les clés qu’il fallût retrouver en premier. Le mot de Cambronne fût prononcé à plusieurs reprises bien que ce personnage ne soit pas encore existant à l’époque du Petit Trianon, mais, si je puis me permettre, la chose existât de toute façon depuis la nuit des temps.

Mieux cela que d'être sourd aurait dit la Pompadour. Il était donc tel un blaireau remuant son terrier, à plat ventre, trifouillant toute sorte de chose avec ses mains. Il chercha vraiment, d’abord sans s’énerver, se remémorant l’endroit où il fût passé,  puis il chercha vainement en maugréant d’avoir été aussi négligeant. Avec cette cheville qui commençait à le lancer il ne pouvait même pas rentrer à pied.  Au bout d’une demi-heure consacrée à quadriller le cercle des clés disparues, ses doigts ressentirent l’objet tant recherché exactement là où il fût laissé.

Il n’était pas d’humeur badine mais il appuya sur le petit appendice sans âme en prononçant la formule magique « sésame ouvre-toi » et le minibus s’ouvrit. De retour au bercail, le plus simple fût de se taire car tout ce qu’il aurait pu dire ou faire aurait été retenu contre lui. Pas très fier il prit du genépi et un peu de bière, mit ensuite les glaçons sur la blessure, s’aspergea de pommades et d’onguents en tout genre puis il forma un bandage pour la nuit. Aux vues de sa blessure qui n’avait pas trop enflée et n’était que faiblement violacée, il pouvait se dire qu’avant les quartiers d’hiver il reviendrait dans son petit Trianon adoré.

Genépi faisant, pensant que cette entorse vaut bien une leçon, tout ce qu’il pût retenir de cette aventure, c’est une formule rassemblant deux concepts de temps. « Quand c’est l’heure, c’est l’heure », pensa t-il distinctement, ajoutant au célèbre dicton « dans un sens comme dans l’autre » puisque par simple opposition « quand ce n’est pas l’heure, ce n’est pas l’heure », tout simplement.

Au milieu de toute ces répétitions, il avait voulu forcer le temps en s’engageant dans ce tour supplémentaire. Et ce fût néfaste il est vrai, mais il est vrai tout autant qu’il aurait pût soutenir une plus grave blessure et chercherait encore à rentrer si le sort en avait décidé autrement.