En passant par les Glières.

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En passant par les Glières.

Le convoi s’engage dans le défilé du Borne, les deux minibus se suivent de près et franchissent le pont qui mène aux Glières. Ils connaissent bien la route qui serpente dans la falaise et après une montée rapide, au petit jour, ils se garent chez Constance en devançant le soleil de quelques minutes. Munis d’un sourire qui ne les quittera pas de toute la journée les deux frangins sortent des habitacles et plaisantent de bon cœur avec les occupants d’autres véhicules qui s’installent progressivement sur le grand parking. Chacun s’équipe pour traverser le plateau et rejoindre la troupe de l’autre côté. Skis aux pieds, ils remontent en guise d’échauffement vers le Foyer de ski de fond qui s’anime.

On se salue en file indienne avant de prendre la pochette du dossard. Pour vous ce sera le 331 et pour vous le 95, en première ligne ! La classe ! On récupère les chasubles qui nous sont offertes et c’est reparti pour une tranche de rigolade en buvant le café. Il faut refaire quelques longueurs pour ne pas se refroidir et après avoir ingurgité un Red Bull, il est neuf heures, l’heure des braves. Tout va se passer bien trop vite (en 1heure 47 quand même !) parce que depuis trois ans, j’ai fini par connaître par cœur cette magnifique piste.

Départ canon et glisse supersonique me placent dans le premier groupe. J’évite des chutes, prends mon rythme, marque les ravitaillements et stabilise dans le deuxième groupe. Sourires, assistance, ça décroche devant et derrière, on se retrouve à trois pour la montée des Mouilles. Encouragements du gars derrière, encore assistance (Merci Stef !), je plaisante, j’attaque, mais c’est déjà l’arrivée ! Euphorique à moins d’un quart d’heure des meilleurs j’en oublie de manger et de boire. Karl arrive un peu plus tard, le sourire est marqué et il est 11h35. On a juste le temps de rigoler, de se dire que l’on est prêt à recommencer, qu’il faut déjà repartir. On se change dans les véhicules room services, entre une banane et une barre de céréale on remplace les combinaisons de ski de fond par des jeans baskets plus civilisés. On se promet une bière ce soir et à midi pile on quitte le plateau chacun de son côté.

Il est maintenant 14 heures, le cappuccino brûle encore les lèvres. Je repose le gobelet de carton sur une table dans cet aéroport de St Exupéry. Le trou dans le capuchon de plastique laisse s’échapper un filet de vapeur et une bonne odeur de café. Pour être à l’heure, j’ai laissé mon bus, mon fidèle destrier sur le Parking P2, allée L. J’y ai rapidement fait le ménage, fourré ce qui traînait dans une pochette, déposé le tout dans la poubelle et je me suis installé là parce que je suis juste en face de l’écran des avions à l’arrivée.

Karl va devoir attendre, la bière aura le temps de perdre toutes ses bulles avant que je ne sois rentré car il annonce un retard de deux heures à cause d’une grève des contrôleurs aériens. C’était bien la peine de se dépêcher, je vais devoir prendre le temps d’une pause dans cette journée millimétrée entre les Saisies et Lyon en passant par les Glières. Comme depuis le marathon du Grand Bec je fais la chasse aux calories, je n’ai pas pris de viennoiserie. Je suis donc seul avec mon cappuccino et je me penche machinalement sur le portable.

Avant on ouvrait un journal, on engageait une conversation, maintenant on se connecte. Par petites gorgées, les yeux rivés sur l’écran, des plus récentes aux plus anciennes, je remonte à contre courant les news de la journée. Des félicitations arrivent avant les encouragements, des photos d’arrivée devancent celles du départ et je me mets à imaginer si quelqu’un venait à faire la même chose avec la pochette papier que je viens de déposer dans la poubelle. Il faudrait qu’il soit bien malin le détective pour savoir d’où vient cette grande enveloppe déchirée. Il se questionnerait sur ce numéro, il serait vraiment bien avisé pour savoir que le 95 correspond à un dossard, mais il y avait une étiquette Marathon des Glières collée au dos. Il appellerait l’organisation pour savoir qui est derrière ce numéro. Admettons.

Par contre il resterait dubitatif pour cette peau de banane et cette canette vide ! Il se dirait que le Red Bull explique entièrement ma forme du moment, que la banane explique mon sourire et que les poubelles de l’aéroport sont mal faites parce que d’habitude Franck Piccard fait le tri sélectif. Admettons. Une plus grosse question viendrait sur l’emballage d’une barre de céréales aux figues. Il devrait se surpasser pour savoir que j’ai gardé ce petit bout de plastique sous ma combinaison pour ne pas ressembler à tous ces sportifs dégueulasses qui jettent les déchets sur les pistes. Admettons.

Mais comment pourrait-il savoir que je l’ai mangée au vingtième kilomètres et que je l’ai mâchée sept minutes tellement elle était sèche ? Il questionnerait mes compagnons d’échappée qui confirmeraient que je n’ai rien dit pendant un certain temps puis que j'ai toussé. Admettons, mais pourquoi cette poubelle ici et maintenant ? Il entendrait le comité d’organisation qui m’a excusé de ne pas être présent à la remise des prix parce que je devais récupérer quelqu’un à l’aéroport et il reconnaitrait facilement mon minibus garé sur ce parking courte durée, juste à côté de la poubelle. Admettez que cela fout les jetons !

D’ailleurs, je dois avoir l’air louche, tout le monde me regarde. Je ne me suis pas encore vu mais apparemment j’ai une coiffure de punk digne de Sid Vicious, minutieusement ciselée par un bonnet vissé sur la tête pendant deux heures de ski de fond. J’ai aussi les jambes lourdes et cela me donne une démarche mécanique avec la souplesse d’un robot. J’ai mis un peu de parfum pour masquer l’effort et les pommades chauffantes au camphre. J'ai zappé les étirements (désolé coach) et une ampoule sous la voute plantaire me fait marcher sur des œufs, les chaussettes de contention que je porte depuis que je me suis changé chez Constance commencent à me serrer fort les mollets.

Pour couronner le tout, j’ai oublié de changer de lunette de vue et j’ai sûrement l’air d’un pervers dans le terminal 2 avec mes lunettes de soleil ! Je baisse la tête dans les nouvelles actualités. Les amis ont postés de petites phrases bienveillantes, donné des impressions gentilles à mon sujet parce que la page Facebook des Glières vient de publier les résultats. Je cherche mon nom parmi les 415 classés. 55 ième, quatrième master 5, juste derrière Olivier et Jean-Pierre !

Il ne reste qu’un peu de mousse de lait sur les bords de mon cappuccino, la fatigue me gagne. J’aime donner l’illusion que tout est facile, mais en attendant son avion, je crois que je vais faire une sieste. Pourquoi écrire, deux photos suffiront.