Hier, c'était Glières. Effort purgatoire, recueillement égocentrique, excommunication glissante, je ne monte plus là-haut pour faire la course, et pourtant. Introspection de la cinquantaine, anticonformisme tribal, oscillation sportive, je ne concoure plus pour les podiums quand je suis là-haut, et pourtant. Sadisme modéré, contrition du corps, contrôle exacerbé, je ne vise plus la victoire quand je skie là-haut, et pourtant.
Entre liberté inconditionnelle et addiction volontaire, j’y suis revenu sur ce plateau des Glières. Passer dans le défilé, s’aligner sur le départ, pousser comme un damné sur les bâtons, courir après mon prochain, haleter comme un chien, la légèreté de nos contraintes sur nos mines réjouies me rassure pourtant sur la nature humaine. Rien de particulier, un signe, un relai du peloton face au vent, un bonjour donné sur le bord du chemin et la vie me comble.
Il y a bien eu cet Italien qui m’a dit de le laisser passer dans cette descente mais qui est resté bien planqué derrière les copains quand il a fallu remonter la plaine de Dran, il y a bien eu cette attaque pile quand j’étais au ravitaillement, mais dans l’ensemble chacun a fait sa part de marché. Il y a bien eu cette seconde où je me suis demandé pourquoi avancer mais je ne me suis pas attardé sur cette petite souris noire au milieu de mes pensées. Il y a bien eu cette topette pour coup de barre « oubliée » sur la piste et que je n’ai pas eu le temps de ramasser. Il y a bien eu ces longues minutes de gestes répétés presque à l’infini, machinalement, il y a bien eu cette queue de poisson que j’ai dû faire dans une épingle (pardon madame), il y a surtout eu cet instant où j’ai acquis la certitude que je n’aurais pas ce courage infiniment.
Souffrir pour ne pas penser, penser pour ne pas souffrir, la phrase qui s’inverse à un moment donné, quand les calculs pour s’économiser ne donnent plus que des inconnus à doubler. Gérer ce filet de volonté pour aboutir 42 kilomètres après la virgule, planifier le parcours dans ce décor qui me bouleverse. Les montées, engoncé dans ma vie intérieure, les relances, avec le regard qui se projette dans l’histoire, les descentes de plaisir et les kilomètres en conciliabule avec ce cerveau qui ne cesse de s’agiter. S’accorder une pleine respiration, relâcher la pression et franchir la sortie en soldat de l’inutile.
La poignée de main sincère avec celui qui m’a poussé dans mes derniers retranchements, les accolades avec ceux que l’on retrouve, les selfies avec ceux que l’on a semé. Entre le thé et les abricots moelleux, je pars m’excuser de ne pas pouvoir assister à la remise des prix parce que je suis garé de l’autre côté et puis remercier le staff, saluer la chance de respirer, traverser le plateau dans l’autre sens pour rentrer chez moi, enfin, manger un Snikers avec le goût du péché originel et rien que cette route pour m’accompagner.
Accomplissement extatique, asservissement libertaire, retraite psychologique, je ne faisais plus la course aux Glières, et pourtant. Refus d’obtempérer avec les années qui passent, méditation transcendantale, pèlerinage contemplatif, je ne concourais plus pour les podiums sur ce plateau, et pourtant. Assouvissement hormonal, confession passagère, parenthèse récréative, je ne visais pas la victoire quand j’étais à l’arrivée, et pourtant.