Sur un vélo je me promenais entre Arzal et Billiers. Dans cette Bretagne d’automne et de crachin on avait trouvé avec ma dulcinée une éclaircie pour pédaler, à son initiative je dois vous le confesser. Tellement heureux de ce moment partagé, loin de faire un quelconque parcours millimétré on voyageait pour aller des embruns du bord de mer aux éoliennes vers l’intérieur des terres. Avec nos porte-bagages et les béquilles levées, on passait les vitesses à la poignée pour emporter à faible allure nos coursiers, semblables à ceux des facteurs, des marais salants jusqu’au bon port.
Pour revenir, aux routes départementales on avait préféré le chemin vicinal et un bout de brousse dans les landes, depuis le barrage sur la Vilaine jusqu’à Billiers et Penn Lann, frontière invisible sur l’océan Atlantique. Après avoir admiré la technologie de cet ouvrage estuarien et les bateaux de plaisanciers, par un raccourci dont je suis coutumier, nous avions poussé nos vélos à travers les marais puis sur les chemins forestiers habituellement dévoués aux marcheurs du GR 34. Elle avait un magnifique sourire et je riais aussi de ma bêtise, poussant toujours plus loin ce bouchon d’aventure jusqu’à surplomber le fleuve et l’océan d’azur. Entre les genêts et les pins parasols, roulant sur les racines, goutant l’iode à pleines narines, on s’accrochait aux ronces et aux ajoncs à gorges déployées. De droite puis de gauche, à force de trainailler en chemin, et de se perdre un peu il faut l’avouer, on choisit de rentrer enfin par une voie bitumineuse. Elle débutait depuis une basse-cours celle de Kerdavid si vous voulez situer, vers des routes que j’imaginais plus praticables et goudronnées. Je croyais donc être perdu mais c’est tout le contraire qui arriva. Invisible pour une voiture, elle se voyaient du haut de mon vélo comme le nez sur une figure, une canette de bière était bien là, emmitouflée dans le fossé droit. Vous me connaissez, la curiosité m’emporta et j’emmenais cette canette dans mon bagage à bras. Revenant à hauteur de ma chérie je lui expliquais la raison de mon retard preuve à l’appui et c’est alors que je vis une autre canette du même acabit déposée dans les mêmes circonstances mais 20 mètres plus loin.
Une nouvelle fois, je m’arrêtais, saisissait l’objet en enjambant le fossé et poursuivait mon périple sur 300 mètres à peu près car figurez-vous qu’une autre canette m’y attendait une nouvelle fois. Strictement identique aux premières, une enluminure d’or traçait d’une belle police un 8.6 Bavaria original sur un bel étui bleu, et je me disais que le hasard n’était plus permis, j’étais sur les traces d’un gars qui jouait au petit Poucet entre Arzal et Billiers pour me guider.
Il devait être super paumé parce que tous les 300 mètres il dégommait une bibine puis la jetait dans le fossé. Toujours la même bière à longueur de kilomètre j’imaginais que cela avait nécessité plusieurs trajets sinon comment penser qu’il pût tenir la route sans lui-même choir dans le bas-côté. Comment avait-il fait pour déposer régulièrement des packs entiers tout au long des onze kilomètres du trajet, car bientôt mon bagage et mes mains ne suffirent plus pour les collectionner. Etait-il en tracteur, à cheval, en voiture ou à pied, je me posais plein de question et suspectais chacun des véhicules que je croisais. Ce petit Poucet ce pouvait être toi l’employé municipal qui passait, ce jeune agriculteur qui me doublait, cette belle conductrice dans son Audi blanche qui me regardait, ce vieux couple qui passait la tête basse. Alors que je prenais du retard dans ma virée, tout ce que je savais était posté dans ce sens-là, depuis Arzal vers Billiers.
Je vous jure une nouvelle fois que tout est vrai, mais à un carrefour d’hésitation devant un dilemme de direction entre deux chemins plus minuscules l’un que l’autre, comme pour me récompenser, je trouvais un billet d’Euros glissé là par la providence depuis je ne sais quel porte-monnaie vers la chaussée ! Avec mon côté fleur bleue, je cherchais vers qui devais-je adresser cette bonne fortune mais aucune âme qui vive ne me permis de le restituer. J’en conclu qu’il fût pour moi et suffirait à ma peine jusqu’à l’hôtel où je l’échangerai contre une canette bien pleine cela va de soi !
Presque arrivé à la fin du parcours, à l’approche des premières habitations je remarquais une baisse de régime de mon Poucet cirrhosé. Plongeant à pleine mains dans la végétation discrètement fauchée, quelques-unes de ces canettes n’étaient même pas terminées et étaient tirées d’un autre crû plus bas de gamme que les premiers. Je les vidais consciencieusement, rendant ces ferments à la terre nourricière et je pensais maintenant distinctement qu’il avait voulu cacher son penchant pour l’alcool et avait précipité la chute de ces contenants pour ne pas être reconnu.
Mon poucet suspect avait peut-être vu la maréchaussée car à partir d’ici plus rien ne dépassait. Le caniveau remplaçait le fossé et l’oiseau s’était envolé. Dommage, mon histoire s’annonçait bien et j’aurais voulu conclure en vous disant que je l’avais retrouvé. Je lui aurais dit qu’il fallait assumer mon gars et garder tes canettes dans ta portière et puis rentrer voir bobonne pour lui dire que tu t’étais torché une KRO à chaque aller.
Je n’aurais pas cherché à donner une leçon d’écologie, il aurait pu aussi me prendre pour un con moi qui ai pris l’avion pour venir jusqu’ici. J’aurais juste voulu connaître les raisons de ce geste qui m’a passionné, observer son rituel qui devait le mettre en forme pour toute la journée. Que voulait-il dire au travers de cette action transgressive, était-ce un acte conscient ou bien de l’absurdité ?
En fin psychologue j’ai prêté à ce Poucet bien des qualités car cette chasse au trésor était évidemment un positionnement artistique sur l’indifférence écologique mais avec des questions à tiroirs sur les routes et les campagnes abandonnées, sur l’économie de marché tout en s’économisant de marcher, ou bien encore sur le tourisme et l’alcoolisme à des fins privées.
Pour finir, j’avais les mains à saturation et je demandais mon chemin au seul passant du coin pour m’indiquer une poubelle de recyclage. J’en pris la direction et pendant que j’expliquais à un autre recycleur breton que ces canettes n’étaient pas ma consommation, je voulais dire au Poucet évaporé qu’il avait fini par m’agacer. En pédalant vers l’océan avec mes roues de 7 lieues je souriais même à l’idée qu’il allait être bien paumé maintenant.
J’ai retrouvé ma bien aimée sur la pointe de Penn Lann. Dans ce no man’s land bercé par la tempête qui s’annonçait je ne voulais plus penser, dans ce no man’s slam poétique et sauvage je ne voulais plus discuter. Petit Poucet farceur, tu devrais y aller ça te ferait du bien. Sans tomber par terre ou par mer, mieux qu’une canette jetée, va faire un tour sur la jetée, sans verre et contre tout, sans jeter de bouteille à la mer, juste un petit effort à faire et c’est tout, quand on sera 65 millions à le faire on tiendra le bon bout.