Sports sans transition

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Sports sans transition

Sans transition Il fallait oser le faire et moi même je n’y croyais qu’à moitié. Je voulais passer sans transition d’une monture à l’autre, poursuivre la saison de ski de fond le plus longtemps possible et enchaîner directement sur une saison de vélo, mais sans faire de vélo ! Ma problématique était de savoir si l’entraînement d’une saison de ski de fond pouvait me permettre de briller sur deux roues sans me coltiner les 2000 bornes réglementaires de mise en jambe. Plus bassement, je voulais accumuler les miles en ski de fond pour pouvoir m’offrir un voyage gratuit sur l’étape du tour en vélo.

La théorie était venue d’elle-même parce que je n’avais physiquement et moralement pas l’envie de faire autrement. Au départ ce n’était qu’une banale histoire, un pari toujours crétin pour skier jusqu’à la fin, jusqu’au bout de la piste. Depuis le premier mai, j’ascensionnais mon(t) Bisanne avec des skis de fond classiques, fartés pour grimper au mur, laissant dans la neige la trace de mes hypothèses à qui voudrait bien les vérifier.

Récoltant les déchets dispersés sur la montagne je joignais l’utile à l’agréable et je redescendais avec le sentiment du devoir accompli. Matin, midi, ou soir, le rituel se terminait par un compte rendu des objets trouvés et une déposition en règle, couché sur le papier, de tous ces égarés du boulevard des neiges. Vous retrouverez d’ailleurs quelques-unes de ces histoires dans mes ballades du temps ordinaire*.

Pour finir de me convaincre, les circonstances avaient joué à fond (!) en ma faveur, puisque, à la demande des équipes de France de ski de fond et de biathlon, une trace de 10 kilomètres vît le jour sur les hauteurs.

Délicieusement damée chaque jour, elle faisait le bonheur des cadors venus engranger des heures supplémentaires à la reprise d’une nouvelle saison, pile au moment où je finissais la mienne. Eux arrivaient à l’aube, moi, un peu après. Point d’eau au milieu de la savane, ce point de ralliement avait rapidement fait des émules et il y avait là toute la jet set du nordique à tourner en rond sur l’immense anneau de la Palette. Chargé de testostérone et de bonne humeur, on s’était finalement retrouvé toute une foule de bras cassé à faire comme eux, à tourner sur un circuit automobile où se côtoie des formules un, des voitures de rallye, des deudeuches et des trottinettes !

De jour en jour, je poursuivais cette expérience qui allait sûrement révolutionner le manuel des coachs bien-pensants. Un matin ils sont repartis pour de bon, mais j’ai continué. Le 20 mai, l'étroite digue de neige a été emportée par une vague de chaleur, alors j’ai stoppé. De la théorie à la pratique, le 21 j’étais debout sur les pédales pour une incroyable ascension des Glières et 120 kilomètres de vélo. A moins d’une faiblesse de mes équipiers que je n’aurais pas remarqué, je me trouvais plutôt à l’aise sur cette sortie, impressionnant mes futurs aventuriers de l’Etape comme moi-même. Fort de ce premier résultat probant j’ai persévéré et… j’ai rechaussé les skis !

Dahu des neiges, il fallait aller chercher les névés par la peau du cul, je sautais de tache en tache, j’enjambais les massifs de rhododendrons en fleur, prenais en pitié mes skis dont le fart de retenu se chargeait de résine. A la fin je me glissais dans les clairières exposées au nord, jusqu’au moment où je me suis retrouvé en plein champ, couvert de boue et de lichens, avec les skis aux pieds. Révélation, prise de conscience, le 4 juin j’enterrais la saison d’hiver 2018 définitivement.

Sur le vélo, au début j’ai agrandi le cercle de mes randonnées pour de belles boucles concentriques avec les Saisies comme épicentre. Depuis la petite corniche (celle qui passe par la route forestière) je suis descendu vers la moyenne (celle qui passe par Bellecombe) puis vers la grande (celle qui passe par Queige), en quelques sorties. De plus en plus loin vers l'horizon, je me suis contenté de 800 kilomètres avant le grand jour de l’étape du tour. L’histoire m’a retrouvé déconfit au bout d’un périple extraordinaire, hagard de sentiment, avare de pensée après avoir traversé 4 cols (Croix Fry, Glières, Romme, Colombière) et 170 kms. Vous retrouverez les détails dans le texte Glières inception*, totalement de circonstance !

Pourquoi je vous raconte tout cela ? Parce que sans savoir si mes fines hypothèses étaient validées, cette année j’ai failli recommencer ! Hormis, ces quelques lignes, les théoriciens ne se sont pas penchés sur le transfert de compétence d’un skieur de fond du dimanche vers un cycliste du lundi. Pas un seul statisticien compulsif n’a relevé ma brillante désillusion en 9000 ième position de l’étape du tour. Comme ma spécialité c’est le ski alpin, j’allais à l’aveuglette, faire une nouvelle fois ce que je voulais en matière de programme d’entraînement.

Heureusement, au mois de mai de cette année les équipes de France font ce qui leur plaît en migrant vers le Cormet de Roselend, je n’ai plus de fart de retenu suffisamment tracteur pour grimper jusqu’à Bisanne sans patiner, mais surtout, il n’y a pratiquement plus de déchet sur les pistes ! Ma super théorie est victime du manque de neige, d’un tube de klister rouge percé dans le coffre de mon bus et de la prise de conscience des skieurs, on aura vraiment tout vu.

Pour ceux qui pensent me voir baisser les bras et imaginent tenir une revanche sur le futur parcours de l’étape du tour, ne souriez pas trop vite. D'abord, j'étais déjà derrière vous, alors la revanche elle est plutôt pour moi. Ensuite, j’ai mis au point une nouvelle théorie avec un pignon à 32 dents et une montée en puissance qui devrait tenir mes promesses. Avec une louche comme instrument de mesure, j’ai déjà 500 bornes dans les pattes et j’ai repris trois fois du Tamié avec du Leschaud. Tremblez derrière vos programmes tout ficelés comme des rosbeefs, le mien est une côte de bœuf saignante ! J’adore me mettre en danger (un peu), mais surtout j’adore jouer (de moi), même avec le feu de la provocation.

*Dans ce texte bourré de références et puisqu'il faut bien survivre, voici un petit lien commercial pour mon mécène http://www.les-passionnes-de-bouquins.com/chroniques-champion-olympique/#/