Hip hip hip Ugra, Mercredi

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Hip hip hip Ugra, Mercredi

Rêve de gosse, premier voyage littéraire sur les traces du héros de Jules Vernes Michel Strogoff, j’avais envie depuis longtemps d’aller là-bas, en Sibérie. Destination inavouée au milieu de nos prénoms familiaux pro américains, elle s’était toujours refusée à mes spatules de skis alpins par manque de relief et de visibilité politique.

Une Glasnost et une Pérestroïka plus tard la route était ouverte mais à ce moment là c’était mes skis qui ne me supportaient plus, alors j’avais mis mes images de la taïga au rang des oubliés, les eaux du lac Baïkal en hibernation, Irkousk loin derrière l’étoile polaire jusqu’au moment où, il y a trois ans, j’ai reçu un catalogue avec de belles images de ski de fond. Parmi les randonnées en Scandinavie une page avait retenu mon attention, celle d’un programme de course qui se finissait par un 50 kilomètres en Sibérie à Kanthy-Mansiysk. D’abord une idée puis un projet, y aller est rapidement devenu une obsession mais le parcours pour participer à cette compétition était presque aussi difficile que celui du messager du Tsar et à moins d’un rebondissement romanesque j’allais encore faire une croix sur les loups et les ours au delà du Caucase.

Mon salut est venu d’une discussion avec le Team Manager du groupe fournisseur de champion longue distance Gel Team Rossignol, à qui j’ai fait valoir mon statut de parrain et mon rêve de gamin. Entre invitation et visa, une carte de la Russie s’est dessinée naturellement. Ce matin d’avril, j’ai des horaires avec des marges de copie double, une valisette Roxy ultra légère de baroudeur nordique et je débarque en plein cœur du dispositif à Genève, prêt pour l’aventure. Après l’enregistrement du matériel (quelques housses de skis fourrées aux farts et aux habits de rechange) on fait plus ample connaissance avec l’équipe que je ne vois que de dos sur les départs et de face sur les podiums quand je n’arrive pas trop tard pour les applaudir. Un premier mythe s’effondre, loin des clichés, les fondeurs parlent et rigolent normalement. On se raconte nos vies et je rajeuni de 30 ans, athlète parmi des athlètes. Les retardataires arrivent dans la place in extremis et on embarque comme un seul homme. Il y a longtemps que je n’ai pas voyagé mais on s’y fait vite. Les contrôles, les passeports, les coups de sang quand on pense trouver le boarding pass dans une poche et qu’il est dans l’autre, bref, trois heures après on est à Moscou.

Sitôt passé de véritables contrôles d’identités suspicieux et presque malsain un deuxième mythe s’effondre, les fondeurs mangent ! Ils s’alimentent normalement et même un peu plus que normalement en traçant l’itinéraire selon des points de ravitaillement. A la sortie de l’aéroport un troisième mythe s’effondre, la Russie se délabre. Ici dans la partie la plus riche de ce pays gigantesque, en transfert vers un autre aéroport on croise des voitures plus sales les unes que les autres, on roule sur des routes en chantier, coincé dans des bouchons comme partout dans le monde. Des camions rouillés toussent et crachent du gas-oil bleu pétrole, une centrale nucléaire à la peinture défraîchie trône à deux pas de l’autoroute, des cités dix fois grandes comme Vaux en velin, fissurées jusqu’à l’âme, se tiennent les unes aux autres par quelques malheureux fils électriques tendus d’un balcon à l’autre. Entre les barres d’immeuble à la dérive, des chantiers hors normes défrichent toujours plus loin l’espace, parfois la réalité n’est pas à la hauteur des rêves.

Assis à côté de mon chauffeur qui ne fait pas rire avec son embonpoint, son crâne et son visage mal rasé, mes premiers regards sur la Russie sont dubitatifs et les premiers sons de cette langue sont inquiétants. Dimitri, téléphone à l’oreille ne semble pas content. Je me retourne vers ce groupe qui m’a adopté en quelques clics. Eux ne semble pas surpris et retrouve la même ville, la même ambiance que l’an dernier, alors « Davaï !». Trois bouchons plus loin une babouchka bien portante nous accueille à un restaurant de cet aéroport, le même que l’année dernière si j’ai bien compris. Elle parle anglais, fait du moto-cross et n’a pas froid aux yeux pour nous faire rire. On passe une belle après-midi entre blagues salaces et la découverte de cet univers. J’apprends ici qu’il vaut mieux se taire, que la politesse n’est pas de mise et que l’amitié se gagne pour toujours. Tard le soir on repart pour 3 heures de vol, cette fois j’y vais pour de vrai en Sibérie. Il est 4 heures du matin ici à Khanty-Mansiisk et on attend nos bagages. Tard ou pas tard un nouveau mythe s’écroule, les fondeurs communiquent sur les réseaux sociaux. Les petits écrans bleus illuminent leurs visages, accro comme des ados, à un jeu, à la recherche d’une vidéo, d’une info, d’un sourire. On apprend que des cadors comme Ustiugov et Northug ont fait le déplacement pour l’UGRA MARATHON et je retrouve chez eux dans ces gestes d’attente ce même esprit de compétition qui m’habitait, un état de toujours et en tout lieu, permanent. A suivre...