Hip hip hip Ugra, Jeudi

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Hip hip hip Ugra, Jeudi

On avait prédit un réveil tardif mais il n’en est rien. Même avec trois heures de décalage il est encore le temps du petit déjeuner. Je fais mes premiers pas vers la piste de course comme un nouveau né. Il faut descendre ces solides marches en bois toutes bancales avant de me retrouver face à l’immensité. Elle n’est pas vierge comme je l’imaginais puisque de hideux poteaux électriques quadrillent l’horizon, mais elle est vraiment infinie. Vers la ville, des bâtiments rendent gloire au tout puissant béton dans des formes très soviétiques, des cheminées s’élèvent et raffinent même le ciel. Vers le Nord, la frontière de la forêt en lisière de ce que je suppose être une plaine n’a pas de fin. Elle zigzague et fait de larges plages de neige avant de disparaître, minuscule au loin. A mes pieds une neige sale, grasse et poisseuse transgresse le sens commun que je me faisais de cette région plus que tout le reste.

Je remonte vers l’hôtel pour le petit-déjeuner perdu dans mes pensées. On me refoule à l’entrée parce qu’il il faut d’abord prendre des tickets. Je m’exécute et après quelques allers-retours à la réception sans anglais ni russe comme monnaie d’échange je passe enfin à table, ou ce qu’il en reste. Le Stroganoff à toutes les sauces, à tous les plats, c’est nourrissant mais pas très appétissant. Aventurier dans l’âme, surnommé « bouffe tout » à l’occasion, comme je goute à chaque plat je suis nommé testeur par la troupe. Il faut bien se rendre utile. Dans mon assiette je passe du foie de volaille Stroganoff aux tortellinis farcis de mouton Stroganoff sans broncher, avec une préférence pour le riz cantonais Stroganoff et le pain fourré aux oignons Stroganoff. Le café et le pain fourré à la confiture de myrtille concluent l’affaire avant de partir faire une sieste et suivre le même programme que mes champions.

Excité, le repos ne vient pas et faire un tour de ski de fond va me changer les idées. Je me transforme en reporter, en Tintin au pays des Soviets avec mon portable, ou plutôt en Rintintin au pays des Soviets parce que je cours dans tous les sens. J’essaie de suivre le groupe, de les doubler pour ne pas avoir que des dos à photographier, j’Instagram, je Facebook, je me lance dans un Photathlon improvisé qui ne perturbe pas un seul instant mes tops modèles concentrés sur leurs tests de skis. Et vas-y que ça tchatche, que ça pousse en simultané dans une neige qui n’est pas glissante du tout ! A peine rattrapés, ils repartent et au bout de deux heures, la reconnaissance de la première partie du parcours de course commence à me lasser. J’ai fait 15 kilomètres soit 100% de plus que d’habitude et je décide de couper à travers la forêt pour rejoindre le parcours de retour que l’on voit là juste à côté, mais sitôt sorti de la trace je m’enfonce de 50 centimètres. La neige complètement pourrie ne me porte pas, je veux bien croire que le stroganoff est lourd mais quand même ! Je marche sur des œufs, je rampe en essayant de ne rien casser et je retrouve la neige ferme 100 mètres plus loin. Un rire résonne et je me retourne pour m’apercevoir que j’ai été suivi. A travers la forêt dense de bouleau et de sapin, les silhouettes des copains plantées jusqu’aux genoux me rassurent parce qu’ils ont les mêmes problèmes de poids et de fatigue que moi. Sur le chemin de retour, l’ombre grandissante a retendu le manteau neigeux et me rassure, un peu.

Je rentre à l’hôtel pour prendre une douche et me voilà en train de faire des assouplissements dans cet hôtel devant la télé où Euronews diffuse les mêmes images toute les 2 minutes. Pour passer le temps je joue aux sept erreurs : Dans cette pièce, sept erreurs se sont glissées, à toi de les retrouver. Facile, le cache prise est cassé, y’a de grosses cloque sous le papier peint, y’a deux trous dans le mur qui correspondent à l’ancienne télé, la tranche de la tablette est arrachée, les fils électriques traînent par terre suite à une erreur de conception, les trous des vis du cadre de porte sont apparents, il manque 3 centimètres de plinthe. A la salle de bain : l’eau chaude est marron, les carreaux de carrelage sont fendus, le rideau de douche laisse passer l’eau, le siphon de sol est mal placé, le cache baignoire ne ferme pas, la serrure est recollée, la lumière met longtemps à arriver, le miroir est fatigué. Ah non, ça c’est moi, le flou, le déformé, le tain qui se décolle, c’est encore moi.

Oui mais avec tout ça il y a la wi-fi et on se connecte sans code. Je ne sais pas si on m’écoute alors de peur de me retrouver sur goulag.net je me contente de poster des photos et si je disparaissais sachez que je n’avais pas de mauvaises intentions. Par précaution, je me contente de faire défiler les actualités sans réagir avec le sentiment d’être à la maison.

Il est l’heure du diner, il faut arriver tôt pour gagner la guerre de l’eau. Pour éviter tout problème gastrique il faut rapidement s’emparer des petites bouteilles mises à disposition. Formé très jeune à la rude école des Vrais Descendeurs je ne suis pas mauvais à ce jeu. Magnanime, je cède un de mes trophées à un de mes équipiers, un Maître exemplaire de ski de fond et d’écriture (On a dit pas de nom mais son prénom est Benoît). La salle à manger très kitch devient de plus en plus fréquentée. Le groupe fait corps et se retrouve sur une grande table où on se passionne pour ballz. Dans cette application, il faut détruire des briques avec des centaines de bille qu’il convient de lancer adroitement, mais ils ont rapidement trouver la parade pour recommencer en cas de tir un peu foiré, comme ça il est impossible de perdre. Une assez bonne stratégie de course finalement. A suivre...