Vive Bessans, vive l’empereur.

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Vive Bessans, vive l’empereur.

Avant, pendant les 2 premiers kilomètres des avions de chasse me passaient à droite à gauche, je devais tenir ma trajectoire, éviter les turbulences, planquer mes bâtons, parce que le comité d’organisation avait la bonne idée de me mettre en première ligne. Avant, pendant les 2 kilomètres suivants j’avais droit aux félicitations pour ma carrière, les fondeurs continuaient de me doubler mais le faisaient avec élégance, ensuite le peloton se décantait et à la première côte je rentrais dans l’anonymat, au milieu du fond populaire. Je pouvais enfin souffler sans retenue, comme un bœuf, grimacer en toute impunité, pester contre moi même pour avoir trop bu et trop mangé pendant ces trente dernières années. Quelques spectateurs avertis me prenaient pour un champion des années soixante, saluant mon courage de venir dans les bas fonds du ski nordique. Je m’arrêtais aux ravitos, je plaisantais avec les bénévoles et à l’arrivée je rangeais illico presto mon dossard VIP avant que le speaker ne me lance le défi de parler correctement après deux heures trente d’effort. Parfois Bessans était une morne plaine où l’Arc s’appelait Bérézina, où les sbires contrôleurs, bibendums emmitouflés sous des couches de laine, attendaient que je capitule avec le dernier régiment sur la route du Mont Cenis. Parfois Bessans était sous un soleil d’Austerlitz, l’armée de skateur au pas de course défilait jusque dans les rues du village en chantant la Bessannaise, la cavalerie sonnait l’hallali en remontant sur les pistes de ski alpin et les empereurs s’appelaient Benoit Chauvet, Emilien Buisson et Yvan Perillat. Oui mais ça c’était avant. Maintenant, je fais partie de la vieille garde. L’empereur s’appelle toujours Benoit Chauvet, mais mon statut à changé. Maintenant, pendant que les cosaques de l’élite s’ébrouent sur la ligne de départ je garde mon uniforme casaque orange et noire bien au chaud. Prenant le temps de saluer les grognards camarades, j’installe mes skis au milieu des fantassins avec le grade de Compétiteur, une distinction acquise tout au long de mes dix années de campagne longue distance. Maintenant, après le coup de canon, quand résonne la musique de Star Wars (franchement j’aimais mieux la Walkirie de Wagner) je regarde ruer le premier escadron… et je pars avec l’infanterie dans un rythme proche du tire au flanc ! Maintenant, les équipes, les assistances (merci Gel Intérim !) me voient venir, les supporters encouragent un fondeur presque comme les autres, chasseur, tirailleur, voltigeur, capable de mener le train, une embuscade, d’aller chercher un résultat et de rester galant. Même si quelques uns remarquent que je suis avantagé en descente ma place à l’arrivée n’a jamais été un crime de lèse-majesté. J’ai sué, je me suis cramé les poumons, je me suis battu bec et ongle avec eux comme avec moi même. Maintenant, à l’arrivée, on parle de la course, du fart, et j’en ai même vu qui cherchent mon nom sur la liste des résultats avant de savoir qui a gagné. Maintenant, en rentrant à la maison, je me dis que du haut de ces 42 kilomètres, je contemple une bien belle histoire. 51unième, à 19 minutes de l’empereur Benoit Chauvet pour son 4 ième sacre.