Sur le départ.

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Sur le départ.

Sur le départ. sorcier mais ne vous fiez pas à sa tête il a le pouvoir de vous défier. Il n’a pas de champ de force ni d’éclair surpuissant pour vous faire reculer tout au plus un aimant sur le côté qui le fera revenir à son point de départ quand vous l’aurez traversé. Ce petit gardien qui vous attire est bien inoffensif mais il n’aura aucun scrupule à vous calculer, inexorablement, au centième près, dès qu’il aura perdu le contact avec sa base. Tout frêle et chétif, dès le départ il se met en travers de votre chemin même si sa vie ne tient qu’à un fil électrique, celui qui le relie au maître Chronomètre. Il est la porte d’entrée du pays de l’instinct, de l’intuition, une contrée éphémère qui dure le temps de l'action, où la pensée n'a plus sa place. Un endroit où l'on oublie tout pour se lâcher dans le vide sidéral parque que l’on croit détenir le savoir. Au delà de cette ridicule baguette c’est le vide, le néant, un dôme invisible où vous serez le seul en action, le seul vivant. Pour entrer dans cet espace et avoir l’audace de s’élancer, il faut un rituel. C’est un passeport magique, issu de votre personnalité, traduit dans les langues de vos échecs, de vos réussites, de vos peurs, de l’estime de vous même. Mon cérémonial débutait par des gestes mécaniques, des sensations de muscles qui s’échauffaient de la tête aux pieds. Recherchant l’amplitude, la force et la souplesse, on attend surtout une réponse pour que chacun d’entre eux vous disent « je suis là ». Le protocole faisait ensuite appel à la mémoire visuelle. Les images que vous avez assemblé en cinéaste averti pendant la reconnaissance de la piste défilent en une séquence virtuelle plus ou moins précise. Parfois clip, parfois long métrage, elle n’a pas de règle et doit seulement vous dire « moi aussi je suis là ». Sans superstition, la routine se poursuivait et c’était au tour de la pensée de faire son entrée. Elle me rappelait pourquoi j’étais là, pour qui je voulais briller. Les émotions affluent, on est sur le qui vive, en éveil de chaque instant passé, présent, futur. Capable d’entendre, de voir, de ressentir tout ce qui se passe parce que tous vous disent « on est tous là ». Les contrôles sont passés, à l’encre rouge sur le visa il est écrit la devise de ce pays où vous allez entrer « oubliez tout car vous savez ». Il faut refermer le passeport et apposer le sceau du compte à rebours. On revient au brouhaha de la plateforme de départ, le technicien apporte La paire de ski qu’il a sélectionné avec votre totale confiance. Précautionneusement, il la dépose à vos pieds en enlevant le scratch, une bande de mousse velcros qui protège des rayures. Soigneusement, il nettoie les semelles de vos chaussures qu’il insère dans les fixations. Le premier réflexe est de faire glisser ses skis. D’un regard, la sensation de fuser sur la neige est divine. Les talkies crachent de l’info dans tous les sens, sans en prendre les mots on en retient l’essence. Le kiné ou le Coach entre en messe basse il faut le courage de tout éteindre et d’être seul. Souvent on instaure un rapport de force avec les chaussures. On les plie, on les presse, on appuie sur les languettes, on y chasse le moindre trou d’air et les points de résistance. Avec la précision d’un orfèvre, on règle et on ferme les crochets. Maintenant seul les instincts comptent. Pas seulement l’instinct vieux comme le monde qui veut juste vous garder en vie, mais aussi celui que vous avez appris courbe après courbe depuis tout petit, l’instinct du ski, celui que vous avez compris gamelle après gamelle, appui après appui. Ils sont le plus souvent accompagnés par l’instinct de la course, l’orgueilleux, le va t’en guerre, celui qui veut gagner et prouver que vous êtes le meilleur, skis aux pieds. Le dossard devant vous vient de partir laissant un trou de lumière qui inonde la cabane de départ. Le starter referme la petite barre de plastique, il faut faire le dernier mètre. On trépigne d’en découdre, les skis ultra-puissants rebondissent et montrent des carres acérées. On bombe le torse, on tape du pied, mais quand vous vous approchez, la portillon reste indifférent, flexible et tendu comme un arc. Deux spatules de skis se glissent au dessous et restent suspendues sur la piste. Deux pointes de bâtons l’enjambent puis s’entrechoquent, laissant tomber la neige qui s’était agglutinée autours des rondelles. Elles viennent se planter énergiquement de part et d’autres dans deux petits trous, seules petites ambassades tolérées du monde extérieur. Un casque et un buste se penchent au dessus de lui et respirent son espace aérien qui s’étend jusqu’à la ligne d’arrivée. Le Cerbère du temps est en alerte, son binôme l’Horloge émet maintenant de petits bips sonores à chaque seconde. Sans état d’âme pour qui se présente à la frontière, à la plus infinie pression, au plus infime contact, il déclenchera les hostilités relâchant une nuée de centièmes à votre poursuite. Peu lui importe que vous soyez dans le doute, prêt ou fatigué, son timing est sans retour. Au dernier signal le corps s’arc-boute, prend appui de tout son être sur les bâtons, bascule et ouvre le portillon : Bienvenue dans l’état de Grâce.