Klosters, Masters Paradise. 4/03

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Klosters, Masters Paradise. 4/03

Deux poules Russes qui caquètent sur un mur, trois suédois partis pour faire du petit bois, des américaines sans gênes en mode selfie et moi et moi et moi. Parti aux aurores pour avoir de la place sur le parking, la tactique est payante puisque je suis juste de l’autre côté de la rivière et j’ai seulement un pont à enjamber pour me retrouver dans l’arène. La pièce de 5 francs Suisse me couvre jusqu’à 14h et j’ai mon programme bien en tête : échauffement à sec, test matériel, départ course à 9H35, arrivée vers 11h, je skie encore 15 minutes après course et retour à la maison vers 18h.

En attendant le soleil, je vais faire un footing pour me mettre en route. En longeant le trottoir, j'avance jusqu'à l'endroit ou la piste de course coupe la circulation pour constater que qu'il ne faudra pas longtemps pour transformer la neige molle en pataugeoire. Après un transit rapide au minibus pour poser le jogging et me changer en fondeur, je vais faire quelques longueurs à la manière d’un nageur en posant les skis bien à plat au sol, en cherchant de l’amplitude et déjà en pensant à m’abriter du vent. Les drapeaux s’agitent et défient la bise qui descend dans la vallée, derrière un molosse norvégien ou russe j’ai l’air d’un caniche qui essaie de comprendre comment ne pas se faire mordre. Deuxième transition au minibus pour récupérer mes skis de course en balance. Quand je reviens de l'autre côté du pont, le paddock de test est déjà saturé et pendant que d’autres déballent des housses entières, il reste une place pour mon test à deux paires ! Sans réelle différence ressentie j’opte pour les semelles blanches parce que… je le sens bien. Troisième pit-stop au bus pour, cette fois, passer en mode course. Je garde mon vêtement thermique et ne prend pas l’option tissu compression musculaire. J’enfile ma combinaison avant de boire un peu de thé et de rejoindre au pas de course le départ. Comme les places sont attribuées, on me propose la première ligne que j’accepte et, comme en Finlande, le speaker annonce à la manière d’un boxeur ma carrière de skieur alpin.

En fait, cela n’émeut pas grand monde et mon départ très mesuré ne va pas les faire changer d’avis ! Pour protéger mes bâtons, je fais l’extérieur à la montée de ces deux premiers virages puis je rentre dans le rang pour un faux plat descendant ce qui va me permettre de dire que je glisse bien. Je fais monter progressivement le pouls, respire calmement dans ces méandres sur la plaine avant d’élever la cadence dans la montée. Le mini serpent de coureur s’étire et le vent de face est terrible. Je vis heureux en étant caché mais devant on saute de gauche à droite pour me faire goûter de ce délicieux Zéphir. J’atteins le sommet de la vallée avec de la réserve et je cherche avec qui m’accoquiner pour encore un tour et demi. Concrètement, les choses sont déjà bien décantées. On se croise avec la tête, dans la forêt, je suis aux alentours de la huitième place mais aussi dans un groupe de 5 larrons où je n’en mène pas large. Le retour me réconcilie avec ma forme pour passer tout sourire devant les tribunes. La suite est moins drôle.

Caché, je suis débusqué de mon trou par un petit signe de tête de l’Autrichien. Je m’exécute, je ne voulais pas faire le mec qui se planque alors j’ai pris ce relai avec la bise en pleine face. Je tiens la cadence avec le sourire forcé mais je sais qu’au bout de ce moment de bravoure, je ne les reverrai plus. Une fois de plus, qu’il s’appelle Shinook, Foehn ou Lombarde, que je sois en vélo à ski ou en bateau, Eole m’a toujours dans le nez. Uni comme un seul homme, à la première petite côte, les 4 z’amis me trépassent. Dans la montée je m’entends respirer et ce n’est pas bon signe. Encore un sourire pour les spectateurs et les bénévoles qui m’encouragent mais le groupe n’est déjà plus qu’un lointain souvenir. Je sors le masque, pour moi, pour tenir jusqu’au bout et ne pas me décevoir. Je m’invective. Ressemblant certainement à un dahu dans ce dévers. Je n’avance plus, je suis seul mais il ne faut pas lâcher. A l’arrêt, parce qu’il me gêne, je rattache mon dossard que le vent a voulu m’arracher. Ce petit temps mort me décompresse et quand j’arrive tout là-haut, je sais que la partie est gagnée. J’aime vraiment ce retour vers le stade. Je profite du paysage et sans trop de problèmes je rattrape à la régulière l’Ukrainien  et un des deux Allemands. Avec le vent et le soleil en fin de course, je glisse encore mieux. Dans la soupe je suis même impérial, seulement il n’y a plus personne devant à aller agacer, plus personne derrière à contrer. Finalement, pompon sur le chocolat Suisse, je termine tranquille onzième, exactement à la même place que l’année dernière ! A chaud et les poumons en accordéons, Thiefaine me susurre les paroles d’une 113 ième cigarette sans dormir, « Désertion du rayon képi, retour au joint et à la bière », enfin je veux dire retour aux intuitions et à la bonne bouffe parce que je ne suis pas déçu de cette place, mais tout ça pour ça, c’est mal payé ! A froid et les épaules affaissées, je satisfais malgré tout au sacro-saint programme en rechaussant pour 15 minutes de ballade. Mes jambes remplies d’acide lactique ne débordent pas vraiment d’énergie et la moindre inspiration me racle les poumons. Au moment de rentrer vers le minibus, un journaliste Suisse force ma bonne humeur pour une photo et me rappelle mes exploits alpins. Il me fait prendre de la distance avec la situation et je vais rentrer l’âme un peu plus légère.

Le parcmètre à zéro, je n’ai plus de pièce ni le temps de déjeuner, il est donc temps de quitter ce Kloster paradise. La route s’étire, Chur, Zurich, Bern… Ah non, pas tout de suite, il faut passer par la case bouchon. Pas d’accident, pas de problème, juste une saturation quotidienne qui me fait perdre une heure et je n’ai toujours pas mangé. J’ai le temps d’apprendre que Le Corbusier ce n’est pas son vrai nom et qu’il n’a pas fait une école d’architecture non plus. Ma bonne dame on n’est plus sûr de rien. A la Gruyère je suis prêt à craquer pour un Toblerone géant mais après le plein de gas-oil, il me manque quelques centimes de Francs Suisse pour succomber au charme de ces petites montagnes de chocolat. A Lausanne, avec la fatigue et Léonard Cohen, le lac déborde de pluie sur l’homme de l’an passé. A Genève, la diagonale Suisse de ce week-end de fou touche à sa fin et me ramène en France, échec et mat.