N’écoutant que son entraînement, il s’enquit d’une paire de baskets à l’avant dernière heure de clarté pour s’en aller gambader joyeusement dans son petit Trianon. Point de château, point de révolution, ni Française ni autrement, seulement une promenade, un tour de garde répété autour d’un marais parfaitement signalisé, un petit Versailles alpestre où il s’ébroue manifestement depuis quelques semaines, depuis qu’il a choisi de respirer sans lever le pied pour autant. Dans ce jardin où il file à l’Anglaise un soir sur deux, il se transforme en petit Shrek des marais, courant, sautant, faisant le break, parlant pour deux, après des travaux d’inventaires et de configurations informatiques, rébarbatifs et éprouvants.
Sitôt sorti de son siège de présidence royale, il tourna la clé de contact et se dirigeait vers Crest-Voland pour stationner à l’endroit prévu à cet effet, à quelques enjambées seulement du portail de ce qu’il considère comme son parc d’attraction favori, sa cour de récréation. Il était tout guilleret à l’idée de retrouver cet endroit qui lui était devenu familier depuis début septembre, date à laquelle il laissa choir son entraînement cycliste afin de prendre un tour plus adapté à sa saison d’hiver, entremêlant ski roue et course à pied.
Il bût une dernière lampée de France Inter pendant que le ciel dégagé passait sur l’horizon, cela lui donna un regain de vitalité et lui fît programmer une séance du genre triathlon, d’abord le tour de ce sentier sylvestre, puis trois aller-retour de ski roue sur le bitume de la départementale et certainement un deuxième tour de récupération pour finaliser cette banale séance d’entraînement.
Pour déconnecter vraiment il planqua son téléphone dans un endroit secret et, pour s’alléger encore, il se délesta de ses clés de voiture qu’il jeta derrière une fougère. Ecoutant le vrai, prenant le frais, la première demi-heure fût donc consacrée au pas de course sur ce sentier des Arpelières, cabriolant comme un cabriolet de cinquante ans, passant des pas japonais taillés dans des rondins d’épicéas aux racines d’arbres qui affleuraient, rasant de près les fougères et les herbes protégées de cet endroit si particulier. Les rampes et les passerelles se succédaient à un rythme soutenu, sur une foulée galopante et la grey’s anatomy triomphante, il se prenait pour le Georges Clooney de ces bois. Parvenu au bout du plateau sans fléchir, et après une brève interruption de soulagement, il contempla les alentours, puis il s’engagea sans réfléchir dans la descente vers le retour. Augmentant la cadence à chaque pas grâce à la bonne connaissance de son domaine, il enchaîna des passements de jambes et de truculents jeux d’esquives pour franchir la sortie dans les temps, se glissant sous le ruban de signalisation* en une demi-heure à peine.
*Effectivement, en relisant ces derniers mots j’avais omis de signaler que le petit Trianon était en chantier. Rien de bien méchant, pas de ravalement de façade mais quelques pontons défaillants qui sont reconstruits à l’identique par des gardes-forestiers qu’à cette heure tardive on ne peut plus rencontrer.
Ceci étant précisé, il reprit les clés qui étaient exactement sous la même fougère. Dès qu'il eut ouvert, empressé comme s’il s’agissait d’un changement de discipline dans un triathlon, il chaussa ses chaussures de ski de fond, son casque et ses bâtons pour se métamorphoser en roller skateur sous endorphine. Puisque le coffre de son bus était coincé, il plongea pour ramasser les fameux skis à roulettes et c’était parti chère Marie-Antoinette pour trois fois le tour de ce plat pays.
Cette demi-heure de clarté fût donc consacrée à son activité favorite du moment, quelques passes de ski roue entre les Saisies et Crest-Voland, histoire de dérouler cette fin de journée tranquillement... (à suivre, bien évidemment)