La pleine lune a mangé ma nuit et à 5 heures du matin, le chasse neige a sonné le glas en se ruant avec vacarme sur son tas de neige comme un chien sur son os. En avance sur l’horaire bien malgré moi, je prends la route de Sommand pour la traversée de la Ramaz, une course de ski de fond de trente kilomètres en forme d’aller-retour sur le col du même nom. Je m’y suis inscrit au retour des jeux, tout guilleret avec ma petite chronique du ski chrono sous le bras, en me disant qu’il serait bon de trouver un nouveau but à cette saison.
Il y a des courses partout ce week end, du Grand Bec au Massacre en passant par la traversée du Vercors mais j’ai choisi la plus confortable à mon goût. Je connaissais l’engin, un tracé coriace qui joue au ski alpin et que je n’ai pas eu le loisir de courir depuis trois ans. Des longues montées de cycliste, des descentes en piste bleue, un cadre somptueux, en plus, cette année il part du côté Sommand, alors j’ai dit banco. J’y vais un peu à reculons parce que je n’ai rien fait cette semaine. Depuis la cérémonie de clôture, sans médaille et rincé, j’ai joué à fond sur la récupération, pas l’ombre d’un test de glisse depuis 5 jours, quasiment rien depuis que j'ai posé mes RTT en Maurienne le 18 février sur la Trace du Monolithe. Le soleil se lève et le mont Blanc a mis un couvre-chef orange, même si c’est un signe de mauvais temps il fait super beau. Le fond de vallée reste dans la brume mais on ne va pas s’y attarder puisqu'il faut remonter de l’autre côté, dans cette petite vallée escarpée de la Yaute. Après les tunnels et le paravalanche je me gare sur l’immense parking encore désert, juste à temps pour prendre le dossard podium, le 213 !
De taille XXL, il est deux fois trop grand. Une fois enfilé on dirait un junior qui fait sa première course, il faudrait presque faire des nœuds sur les épaules pour qu’il ne tombe pas sur les cheville ! Je passe ensuite à l’échauffement et au test de glisse. Petite surprise, la neige est poudreuse ! Avec mon technicien de compèt on avait prévu qu'elle soit mate et humide mais ça ira quand même. Après quelques hectomètres, deuxième surprise, la trace est molle ! Il faudra monter les genoux, être soft sur les appuis, avec ma nuit fracturée et mon grand bol de récup il faudra bien calculer l'effort.
9h15, on me pousse un peu vers l’avant du peloton et c’est parti sur les rampes de la Ramaz. En manque de repère, je suis (du verbe suivre) bêtement celui qui est devant. Quand il y a un trou, je comble, quand on monte dans les tours, je me calme. Je repense surtout à ma dernière visite sur ce plateau. C’était en 2015 et je me souviens de Joël. Il était là. On s’était garé l’un à côté de l’autre. Je lui avais demandé comment il allait. Avec sa bonhommie naturelle, il venait « pour voir » malgré ses ennuis de santé. Il aimait bien cette course et il l’avait gagnée à trois reprise dans les années 90. Il disait qu’il faut bien continuer de se bouger et à l’arrivée il était encore largement devant. La maladie l’a emporté en 2016. Je bascule au sommet avec un sourire gêné, mais je crois qu’il comprendrait.
La piste n’est toujours pas compacte, il faut skier sur des œufs, marcher dans les traces mais à ce petit jeu, je m’en sors bien notamment dans les bas fonds du Praz de Lys. Il faut maintenant remonter le col. D’un rapide coup d’œil sur les forces en présence, à les voir souffler, je pense que me suis bien géré jusque-là. Encore quelques encouragements et je fausse compagnie au mini groupe en tentant d’intégrer le top 10. La remontada depuis la 19 ième place va rapidement se stabiliser à la 14ième, car si la glisse s’améliore dans la descente vers Sommand, elle va me jouer des tours dans la dernière boucle sous la forêt. La neige plus froide provoque des ratés dans mon moteur. Par principe, j’encourage ceux que je double, mais preuve qu’il faut arriver, je ne parviens plus à dire merci aux spectateurs. L’arche est franchie en 1h53mn sous un soleil et un sourire radieux. Le débriefing commun est plein de respect pour cette 35 ième édition qui s’achève avec l’arrivée de l’équipe sport et handicap. Comme les pros je fais un quart d’heure de récupération mais en prenant quelques photos de ce coin de paradis. Aïe, sur l'écran 25 appels se désolent d'une réponse. Repris par le boulot qui vient me débusquer jusque içi, je sacrifie le rituel du bol de tripes au chaudron contre 3 raisins secs et un verre de thé. Quittant à regret le parking bondé et une sieste réparatrice, je n'ai même pas le temps de faire le Snickers challenge, il faut rentrer illico pour un bourrage papier.