Au pays de Pantani, primo

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Au pays de Pantani, primo

Au pays de Pantani, primo giorno. Jeudi 22 septembre, 2 heures du mat, la sonnerie pique les yeux. Machinalement je me glisse dans mes habits de voyage, je bois ma dernière ampoule de fortifiant gout curcuma et j’attends mon taxi qui se pointe avec quelques minutes de retard. Petite poignée de main pressée et l’Audi s’emballe jusque dans la plaine de Beaufort où même les radars sont endormis. Finalement, on sera à l’heure pour prendre le car qui nous emmène au pays de Pantani parce que, au départ du circuit, les Arêchois ont pris leur temps pour charger leurs vélos et de volumineux bagages.

Après une vingtaine de minute, on fait un dernier arrêt à Albertville pour faire monter les gens de la plaine. Les présentations avec le reste de la troupe se feront plus tard, pour l’instant mes pensées vagabondent dans les limbes et Moïse le chauffeur emporte son petit peuple de la Beaufortain Rando Vélo à travers la montagne du Fréjus. Je me réveille avec la plaine du Pô qui s’étire et s’enfuit derrière nous. Notre autobus ouvrant l’autoroute, les rangs de vignes et de maïs s’échappent à tire d’aile derrière nos vitres, à l’intérieur, recroquevillés dans des positions plus ou moins inconfortables, ronfleurs et veilleurs rêvent en silence.

L’exode de cette 21ième rando à géométrie variable doit nous conduire sur les bords de la mer Adriatique, dans la station balnéaire de Riccione. Le jour qui se lève révèle les visages de cette fournée hétéroclite. Des cyclistes aguerris aux adeptes de l’assistance électrique, je connais bon nombre d’entre eux depuis des retrouvailles au pays des châteaux Cathares l’année dernière. Leurs prénoms me reviennent instantanément en mémoire et évoquent des souvenirs heureux. Ils me découvrent à leur tour avec une certaine surprise parce que je me suis embarqué à la dernière minute. Hier encore j’étais retenu par un Commissaire aux Comptes qui heureusement m’a laissé ma chemise et je me suis glissé en passager clandestin dans cette galère au petit matin.

Au bout de trois heures Moise est un peu fatigué de tenir le volant et c’est l’heure du premier café italien dans un restaurant routier. Je lance un « Buongiorno, un caffè per favore » suivi d’un « grazie » et rien que pour ça, ce voyage vaut le coup. 1 euro 10 de bonheur et d’amertume suffisent à me réveiller et à me rendre heureux. Pendant la deuxième tranche de trois heures je termine un polar entamé il y a trois mois, une sombre histoire de dompteur de lion et de perversité extrême en Suède à faire frissonner le temps qui écrase ses gouttes de pluie sur le pare brise. J’ai à peine le temps de me remémorer les personnages, que Moise rate la pause et nous emmène directement à destination.

La porte s’ouvre cette fois sur la plage où des parasols bien alignés quadrillent l’horizon, un vent léger nous fait poser nos pulls à terre et nous propulse en vacances. Chacun se dérouille et on se retrouve nonchalamment à la terrasse d’un restaurant pour des « spaghetti alle vongole » al dente cela va de soi. Si on s’est levé aussi tôt c’est pour aller rouler, alors après la formation des chambrés, Moïse pouvait vaquer à ses occupations et on a suivi notre nouveau guide Venanzio pour 50 kilomètres de décrassage. De son accent à ses chaussures en passant par son sourire aux dames, Venanzio est 100% italien et il nous conduit en connaisseur sur les premières collines des environs. Callé dans sa roue, en évitant les nids de poule et les ornières, et les voitures qui klaxonnent, et les vespas, et les fausses pistes cyclables, et le mobilier urbain, et les signalisations au sol, je lui fais une phrase parfaite dans sa langue natale accompagnée d’un signe d’inquiétude en lui montrant le ciel sombre qui s’approche. En connaisseur, il me dit en Français et d’une main Italienne que le vent chasse les nuages, que cela va bien se passer et il nous laisse nous expliquer dans un prologue de 4 kilomètres en montée avec, à l’arrivée, un classement sans surprise et sans importance (je dis ça parce que je n’ai pas été transcendant !). Mais Vénanzio n’est pas Moïse et trente minutes plus tard la pluie fait une arrivée fracassante. Je suis rincé, sale et frigorifié dans mon maillot ultra léger. Mes chaussures archi neuves sont archi trempées mais le pire c’est que cette averse met fin à des mois d’invincibilité où j’avais réussi à faire des centaines de kilomètres en me faufilant entre les gouttes, échappant sans cesse au déluge et au moindre orage. De retour à l’hôtel, tout penaud et transi de froid, on pousse nos vélos sur un monte-charge qui descend au sous-sol et on les dépose dans un immense local où il y a un jet d’arrosage pour les nettoyer, des bouteilles d’eau minérale pour remplir les gourdes et même un atelier pour réparer les deux roues des clients. En fait, dans cette région tout tourne autour du vélo. Partout, des dépliants annoncent des circuits dans toutes les langues, plans et profils à l’appui, des groupes de tous niveaux déboulent chaque jour des quatre coins de l’Europe pour venir transpirer entre la Toscane, l’Emilie-Romagne et les Marches. C’est d’ailleurs pour cela que la BRV 2016 est venue ici faire du vélo dans un programme all-inclusive inédit.  La réunion du soir confirme que pendant les trois prochains jours on va être assisté minute par minute, à chacun son rythme. Après quelques Spritz, j’ai retrouvé une température de corps satisfaisante et autour d’un buffet chargé de fruits de mer, de pâtes et de poissons agrémentés de quelques verres de rouge je comprends que trois groupes de niveaux parcourront les alentours et que je devrais faire 100 à 150 kilomètres par jour. Juste avant de m’endormir un peu trop tard parce que mes idées tournaient dans ma tête, je me rappelle que je me disais « Si ça se trouve, Moise, en plus d'être un chauffeur, c'était un organisateur de trail ! ».