Taquin

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Taquin

Chez nous le Père Noël est du genre taquin. L’humour, la dérision, la rigolade, l’ironie, font volontiers partie de ses intentions de cadeau. Capable au milieu de véritables bijoux de tendresses de glisser des présents surprenants, ce gros malin n’a pas trouvé mieux, au soir du 24 décembre 2015, que de m’offrir une paire de ski roue ! Avec mes histoires de ski de fond et de courses longues distances, il fallait s’en douter. A force de dire que si j’avais eu des rollerskis mes classements auraient une toute autre allure. Je l’avais bien cherché et il faut avouer que je ne l’ai pas vu venir, et je vous jure que ça m’a fait plaisir, sur le coup. Avec du recul un peu moins, parce que j’allais devoir en faire ! Avec mes principes à la gomme, je considérais que c’était stupide d’en arriver là. Pourquoi s’abaisser à rouler sur du goudron, en milieu hostile, rugueux, gratouillant ou vibrant, alors que le ski de fond c’est tout le contraire.

Sans en vouloir à ce personnage ni à sa délicate attention, j’ai rapidement remarqué que le cadeau était incomplet, il était accompagné d’une paire de bâtons mais il manquait très logiquement les fixations, puisqu’elles s’installent en fonction de la marque des chaussures. Tout l’hiver dernier, cela a constitué un très bon alibi. Ils sont restés sagement derrière mon bureau, dans le carton d’origine, et je disais à qui voulait bien l’entendre que je ne pouvais pas en faire. J’en ai même fait état sur Messenger, proclamant que j’étais activement à la recherche des interfaces en forme de glissières pour les monter. En juillet, une connaissance bien placée a finalement trouvé les fameuses plaques et j’ai dû me résoudre à les installer. Mes techniciens dévoués d’ordinaire à farter mes skis de fond ou a réparer mon vieux vélo se sont emparés du problème et avec leurs savoir-faire légendaires, me rendaient les objets prêts à l’emploi en moins de trois heures, avec un travail noté 18/20 au bac I comme improvisation. Un peu surpris devant tant de précipitation j’ai attendu deux petits mois pour les chausser, c’était jeudi dernier.

Caché et honteux comme quelqu’un qui va fumer en cachette ou plus simplement comme quelqu’un qui ne sait pas en faire, je me suis garé en fin d’après midi dans un parking anonyme, pas loin de l’ancienne gare d’Ugine. Sans repère de base, ni de la part du Père Noël, ni de mon coach, j’ai mixé mes équipements de fond, de marche et de vélo et j’ai rejoint la piste cyclable, la tête basse pour éviter de croiser des regards. Après avoir choisi un quai d’embarquement bien isolé, je scrute les alentours pour me lancer vers mon objectif : un aller retour jusqu’à Faverges. Dès les premières longueurs, à bord, c’est tendu du string. Mes orteils se cramponnent à la semelle, mes chevilles habituellement souples grincent jusqu’aux malléoles, mes mollets sont crispés comme un lendemain de trail et les bâtons qui martèlent le sol me rappellent le bruit saccadé d’un brise-roche en plein terrassement. Je dépasse régulièrement la ligne médiane, le croisement à contresens ou le dépassement des piétons font monter quelques sueurs froides, les cyclistes qui me doublent me font sursauter et le goudron qui m’attire semble bien moins accueillant qu’un bon tas de poudreuse. Rapidement muté du poste de chef de gare en pilote de ligne, je découvre qu’il me manque pas mal de notions à propos de ces rails, notamment celle du freinage. J’ai d’abord pensé au freinage type roller, un patin est mis perpendiculairement en arrière et ralentit la course, mais mes engins n’ayant que deux roues, l’efficacité de cette méthode n’est pas probante. Alors je me suis inspiré du freinage des patineurs de vitesse, une sorte de chasse neige sans dérapage. Le style est peu académique mais associé à très grande anticipation aux passages à niveaux (nombreux sur la piste cyclable) je franchis les chicanes et remonte à petite vapeur vers ma destination. Pour l’instant, mon geste implore plus de la pitié que de l’envie et pour le coup, on devine que je dois essayer de faire du ski de fond en hiver ! Quand on est en vélo votre spécialité sportive n’est pas écrite dessus et on peut vous imaginer venant d’autres horizons plus ou moins colorés, mais là, vous ne pouvez pas y couper, vous êtes un fondeur endurci ! En conséquence, il faut avoir un geste impeccable sinon on a l’air d’un con. Dans la plaine je les entend penser tout haut,  « il ferait mieux de faire autre chose le pauvre, encore un qui se prend pour Martin Fourcade ». C’est vrai que c’est un peu malsain comme situation. Le ski roue semble réservé aux élites, à une caste de champions dont je ne fais pas partie et par ailleurs, ils auraient dû prendre Robin Duvillard en exemple car je n’ai pas de carabine sur le dos, même pas un petit sac. Tiens, cela me fait penser que je n’ai pas de gourde et la chaudière commence à être en surrégime. Je m’arrête et je m’assois sur la barrière de Faverges. Avant de repartir je prends 5 bonnes minutes pour faire descendre la pression, peu importe ce que pensent ces lycéens avachis sur leur portable. Allez chasser le Pokémon et laissez les vieux athlètes s’entraîner. Le retour est nettement plus digne. Le vent de dos pousse la machine qui fonce à travers la plaine, plus personne ne me dépasse et je ne bouchonne pas la circulation. Je commence à me lâcher et je prends pleinement possession de ces outils de compétition. J’apprécie le geste tellement proche de celui du skating, je relâche un à un les ligaments de mes chevilles et j’effectue finalement une véritable séance d’entraînement. Il y a même une certaine fierté qui s’installe dans ma tête pour parcourir la ligne droite qui descend vers Ugine, nul doute que sur la nationale, dans leur voiture, ils doivent être impressionnés devant tant de virtuosité. Je passe alors une dernière fois en mode roller, les bâtons ne servant que de balanciers, pour piquer une pointe à une vitesse folle et il est temps  de lever le pied parce que dans 200 mètres j’arrive au parking.

Ma première heure de rollerski s’achève avec quelques fourmis dans les jambes, des courbatures dans les bras et une belle transpirée, mais en espérant que je reviendrai bientôt. Le surlendemain, j’ai recommencé. Merci Père Noël !