Au pays de Pantani, terzo

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Au pays de Pantani, terzo

Au pays de Pantani, terzo giorno. Encore bercé de danse et de poésie je m’amène joyeusement au petit déjeuner. Le principal avantage de cette formule sédentaire c’est qu’il n’y a pas de bagages à faire. Ce n’était pas dramatique en soi parce que je n’avais jamais beaucoup de choses à ranger mais il fallait toujours être sur le qui-vive pour ne pas retarder le programme, et on oublie toujours quelque chose dans ces transhumances. Là, on descend ou on monte d’un étage et il n’y a qu’à manger ou à pédaler. L’autre avantage c’est que l’on connaît bien les lieux. On se sent vite à la maison pour trouver la salle de petit déjeuner, les toilettes, la piscine ou le bar !

Aujourd’hui on part véritablement sur les traces de Pantani puisque après 50 kilomètres de plat on doit aller se recueillir sur sa tombe. Ce n’est pas que l’on voue un culte à cet éminent cycliste mais le président à vie de la BRV si. Alors quand le comité d’organisation a proposé cette destination c’était bien évidemment en pensant à lui. Le plus cocasse c’est que le président n’est pas venu. Mais on y va quand même. On longe la plage dans l’autre sens en direction du nord. On reste groupé pour ne pas se perdre et on provoque de jolis bras d’honneurs même sur les routes secondaires. Au bout de deux heures on est arrivé à Cesenatico. On a clairement changé de standing, ici on touche les strates populaires. Finies les plages bien ordonnées, derrière la route on butte immédiatement dans d’immenses immeubles de comité d’entreprise. Des barres se dressent face au paysage et à la morte saison c’est des paquebots fantômes qui nous accueillent. Dans un terrain presque vague, on découvre sa stèle. Sur un rocher, la sculpture du cycliste en ascension me rappelle la difficile vie de sportif. Les entraînements, la compétition, les blessures, la passion, la carrière, la pression, la solitude, la régression, la petite mort et parfois la grande. Tourner la page, prendre une nouvelle vie tourne parfois au tragique. Le président a bien fait de nous mener jusqu’ici et finalement cette stèle ne pouvait pas être à un meilleur endroit pour me questionner. Sans curiosité, avec respect et pudeur nous allons au cimetière. L’endroit est ouvert au public mais malgré le nombre de visiteur, il respire le calme et le recueillement. Après ce moment fort, Vénanzio nous emmène sur le port et on fait une nouvelle pause café. 20 minutes plus tard il donne le signal de départ et j’enfourche mon vélo. Je roule quelques mètres sur les pavés de la rue piétonne en essayant de chausser mes cale-pieds et je me retourne pour savoir dans quelle direction il faut aller… Mais il n’y a plus personne ! Plus un seul cycliste à l’horizon, uniquement des touristes qui n’ont pas vu mon groupe partir à l’opposé par une route dérobée en bord de mer. Petite panique, je me remémore le parcours aperçu sur la table tout à l’heure et je crois pouvoir les rejoindre à la sortie de la ville. Je m’enfonce dans les rues tracées à l’américaine, tourne à droite, à gauche, reviens sur mes pas mais rien n’y fait, je les ai perdus ! Je me marre, je rigole comme un fou sur mon vélo parce que je trouve la situation complètement géniale ! L’aventure frappe à ma porte et je vais gouter à la liberté d’une échappée belle en solitaire. Je n’ai pas de plan mais si je me souviens bien il faut que j’aille vers Savignano puis à Verruchio pour le barbecue. Je passe un coup de fil au seul organisateur dont j’ai le numéro mais c’est sa femme qui répond. Je l’avertis de la situation et lui demande de les prévenir que je les retrouverai au repas. Je prend la bonne couleur de panneau (en Italie le vert c’est l’autoroute) et je descend vers l’Ouest. Au bout de 20 kilomètres je m’arrête pour demander mon chemin. Un ancien est en train de balayer devant sa porte et j’engage la discussion. J’aime vraiment cette langue. Plongé dans cet environnement, en totale immersion, je n’ai  pas besoin de réfléchir aux mots qui viennent tout seuls, tant et si bien qu’il me répond à grande vitesse comme si j’étais un vrai Italien. Même si je n’ai pas intégralement compris sa réponse, il ne pouvait pas me faire un plus beau compliment et je ne veux surtout pas lui faire répéter. Pour la magie du moment il ne doit surtout pas savoir que je suis Français et avec ce que je sais je prend congé de lui en le remerciant chaleureusement. Je m’engage sur la grande route parce qu’il m’a dit que les petites routes c’était trop compliqué. 8 kilomètres jusqu'à Savignano, puis au rond-point il faudra prendre la route de Santarchangelo. Juste à l’entrée il y a une belle montée mais pas très longue pour partir en direction de Verruchio. Rien que pour le plaisir, au rond-point de Savignano je demande à nouveau ma route à un papa qui promenait sa fille en poussette. Le plaisir est intense, l’imposture est complète jusqu’à ce qu’un coup de fil vienne rompre le charme. Ouf, c’est Venanzio et je peux lui répondre en Italien sans me dévoiler. Je lui dit que je me débrouille seul pour aller jusqu’au repas et j’y ajoute même quelques gestes. Il voudrait bien venir me récupérer mais je comprends que je suis 10 kilomètres devant eux. On convient alors de se retrouver à Ponte Verruchio, il s’excuse de ne pas avoir fait attention à moi au départ et on raccroche. Ah s’il savait, il a fait de ma journée un pur délice ! Le papa poussette me souhaite bon courage et je file voir l’archange. Sur la grande route les camions me font de la place comme si j’étais le maillot jaune, je croise des cyclistes comme moi et je suis bien, tout se passe comme prévu. Après avoir véritablement franchi le Rubicon, je roule jusqu'au pont et je vais attendre, le ravito est à 4 kilomètres mais j’ai promis de rentrer dans le rang. 20 minutes s’écoulent et quand ils arrivent enfin je me suis refroidi. Un peu vexés ils ne s’arrêtent pas et j’attaque donc une montée sèche. L’acide lactique m’envahit comme à mes plus belles heures de skieur mais je ne lâcherai pas. Mieux que ça, je reprends les maillons faibles et je termine au coin du barbecue plus très loin des premiers. Des lasagnes, de la chair à saucisse sur la plancha et une salade de fruits maison accompagnent nos rires de gamins, ça branche dans des blagues à deux ballons de rouge et on se raconte la belle histoire. Après le café on rentrera heureux, en fin d’après midi j’irai à la mer parce qu’il n’y a plus le drapeau rouge. Ce soir j’en viendrai même jusqu’à penser en Italien quand on ira manger dans une ancienne église, mais pour le moment je contemple ce pays. Depuis ce promontoire, on voit la mer.