Au pays de Pantani, ultimo giorno. Les groupes se sont épurés au cours des trois derniers jours. Avec les difficultés grandissantes nous ne sommes plus que 14 apôtres pour suivre la passion du vélo selon Vénanzio dans ce dernier périple de 150 kilomètres et 2700 de dénivelé positif. On ne sait pas si les Italiens sont Marseillais mais par précaution on demande une grâce pour ramener notre peine à 2000 mètres et sans savoir si nos voix ont été entendues, nous nous sommes mis en route.
La marche d’approche est un fond de vallée entre bosses et collines mais bien vite on aperçoit l’immense rocher de San Marino qui se détache du ciel. L’ascension est régulière et je pars au train. Armand, puis Jean-Louis, puis Gaby, puis Gilles, puis Fabien me passent. Je regarde mes freins, puis mes poignées, puis mes pignons, mais non, y’a rien qui bloque. La neutralisation rétablit un semblant de calme et sur une route en forme d’escargot nous arrivons en file indienne au pied du palais. Le sommet est bondé et on préfère prendre notre café quotidien avant les derniers mètres. Sur le comptoir, 13 cafés sont alignés (une personne a pris une infusion) et ce moment à des allures de cène avant la montée au calvaire ! Pour grimper à pied jusqu’à la tour de guet, on pose nos chaussures pour ne pas glisser sur les pavés en pente et la foule massée dans les échoppes nous regarde avec incompréhension au moment de la photo. C’est drôle le vélo, on se déchire à la montée et on attend au sommet pour regarder le paysage ou prendre la pause ! On dirait les motards qui vous doublent à fond et que l’on retrouve 10 minutes plus tard en train de fumer une clope.
Sans traîner, Vénanzio nous montre au loin le prochain objectif, la citadelle de San Léo. La descente est immédiatement gâchée par une montée et dans cette ambiance casse patte c’est Bobby qui se perd. Erreur volontaire ou pas, on ne le reverra que le soir à l’hôtel. Juste avant Montemaggio le paysage devient rural et se creuse comme nos visages. Je me balance dans une magnifique descente qui enchaîne des combinaisons de super géant vers Pietramaura. Une fois encore, sans le moindre répit il faut remonter. L’air ne veut plus bouger autours de moi alors je m’accroche aux notes de musique pour tenir la cadence et je prends le gros pignon de 32 pour avancer. Le soleil en profite pour me faire suer physiquement et moralement, surtout quand Gilles me passe à la régulière. Je finis crucifié au sommet par des plus vieux et des plus forts que moi.
Maintenant que ma carrière de cycliste est définitivement devenue touristique, je vais pouvoir ouvrir les yeux sur San Léo. J’aime les vieilles pierres et je suis ébahi devant cette forteresse posée sur son piton rocheux. Le site et les environs me rappellent le film « Le nom de la rose » et je suis Sean Connery qui jubile quand il découvre la grande bibliothèque. J’espère que le grand Jorge et Bernardo Gui ne vont pas sortir pour mener l’inquisition sur ma petite forme du moment et je prends à cœur mon rôle de reporter photo jusqu’à en tomber du vélo au moment de repartir. Hormis une petite morsure de pédalier au mollet, je n’ai pas mal, mais pour ma défense il faut dire que je venais d’apprendre que la quatrième montée était immédiate. Pas de descente pour s’échapper ou éventuellement se perdre, l’envolée est sans transition pour Villagrande par un col en pente régulière.
L’enfer de Dante qui m’était promis passe au niveau calvaire tout au plus. Je crois même que la résurrection n’est pas loin quand je reviens sur Fred, mais je comprends vite qu’il est en pleine fringale ! La messe est dite et les positions ne bougeront plus. Quand Venanzio arrive on est en train de contempler deux chenillettes sur le bord de la route. Vu les yeux que l’on fait il nous explique que dans la montagne qui est devant nous il y a du ski en hiver et qu’une année il y avait 4 mètres de neige ! On rigole, on le traite de Marseillais et on renchérit en disant que bientôt Moïse va descendre de la montagne sur des skis avec les photos gravées dans le marbre ! En réponse il propose de monter voir comme c’était prévu au programme. Finalement, on est en retard, il vaut mieux redescendre.
On l’a cru sur parole est à nous la grande descente de 30 kilomètres. Des moutons moelleux et des vaches paisibles font leurs apparitions, dans une épingle je vois le château de Monte Cerignone qui s’efface à contre-jour, la troupe s’allonge et met la poignée dans le coin jusqu’à Mercatino Conca. Avec un nom pareil j’en ai l’eau à la bouche parce que j’ai bien retenu que c’était le lieu du repas. Le service est impeccable pour un pique-nique avec de délicieuses pâtes, le retour de la pancetta grillée et de la salade de fruits maison. Pour ce dernier moment sur les routes, le deuxième groupe nous a rejoint. On prend le temps de boire le café ensemble en pensant à demain, quand il faudra rentrer chez nous et quitter le Pays de Pantani ; à moins que Moïse ne s’égare. Chiche, je vous le dis demain !