Bauges de là.

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Bauges de là.

Le concept est simple: entre la dépose de ma fille à l’anniversaire d’une copine et un rendez-vous très tard le soir pour récupérer mon fils, j’ai le temps de faire du vélo ! Comme d’habitude, j’ai mis tout le matériel dans le minibus pour une sortie improvisée à la dernière minute quasiment sur tous les points. Devant la gare de Grésy sur Isère, au moment où j’enclenche les pédales je sais seulement que je suis au pied des Bauges, que j’ai une gourde d’eau, 20 euros en poche, mon portable rechargé à 44%, avec des écouteurs (plutôt rare) et un kit de réparation (tout arrive, j’ai fait beaucoup de progrès !). Ignorant les nombreuses raisons et les non moins nombreuses excuses qui m’empêcheraient de partir, je me donne 3 heures de balade pour rentrer avant la nuit. Pour le parcours, il faut que je fasse une boucle dans ce massif montagneux pour finir par un col dont j’ai perdu le nom et que de surcroît je n’ai jamais approché. Il fait seulement partie de mon imaginaire, tiré des récits de cyclos endurcis qui en ont fait un portrait de dur à cuire. Grâce à lui, je bouclerai ce chemin qui me permettra de revenir tout à l’heure de l’autre côté. Pour le nombre de kilomètres on verra à l’arrivée et pour le dénivelé, avec la forme que je tiens, ça devrait aller ! J’adore les raisonnements implacables comme ça.

Je débute donc de  Grésy sur Isère à 17h45 (il n’y a pas d’erreur de frappe) par l’incommensurable Col du Frêne et ses 8 kilomètres de montée. Avalé à petit train, le bruit du moteur est couvert par la playlist des « 25 morceaux les plus écoutés » et je me régale. Les virages reviennent en mémoire, sauf le sommet, plutôt plus raide qu’avant, le réchauffement climatique sans doute. En haut  je retrouve le soleil qui m’ouvre la grande porte des Bauges. Je suis bien, il fait bon, les longues lignes droites qui descendent la vallée m’éloignent du point de départ mais me plongent dans le bonheur. Ce parcours me rappelle le bon vieux temps du lycée où je m’accrochais aux camions pour rattraper les besogneux fondeurs. La playlist me transforme à volonté, court, long, carré, mince, gros ou rond. Ne cherchez pas, c’est un réflexe de Pavlov, parce que la fin de cette phrase me ramène systématiquement aux Barbapapa.

En vélo, ce générique me transforme en black, rock, indé, pop, techno, blues, toujours en cadence. Je fais partie de ces gens qui attachent des images et des souvenirs aux chansons. Celle là, j’étais à tel endroit et je faisais telle ou telle chose. J’ai donc beaucoup voyagé dans le temps et dans l’espace avant de remonter vers Aillon le Vieux mais ma gourde est vide d'un coup comme ça.

Dans mon pays des Bauges, olé. Y’a une fontaine par là, y’a le Col du frêne par là et y’a une Ecole comme ça, et une Compote comme ça et des vieux tracteurs comme ça.

Dans mon pays des Bauges, olé. Y’a des gravillons comme ça et des grimpettes comme ça et y’a des tomes avec un « m » comme ça, ça sent la chèvre comme ça et  y’a des fermes comme ça et des agriculteurs heureux comme ça.

Aillon le Jeune il est 20 heures mais ce n’est pas l’heure des informations. Stop, demi-tour, il y a un bar encore ouvert.

« Bonsoir,

-Bonsoir.

-Vous auriez quelque chose à grignoter ?

-à grignoter non, y’a pas grand chose…Mais j’ai des friandises et pis des Mars et des Prince.

- Va pour un mars et un petit paquet de Prince.

- Le Mars il a eu un peu chaud, mais il est bon et ça fera 2 euros.

- Et pour les princes ?

- Non, ça fait 2 euros en tout.

-Je peux payer en Francs ? Je plaisante, merci pour tout.»

Effectivement quand j’ai ouvert le Mars c’était presque du chocolat blanc, mais il n’y a pas eu tromperie sur la marchandise : il était bon. En plus, j’en suis au quatrième tour de la playlist et  je ne m’en lasse pas, j’en oublie les premières contractures et me régale du spectacle parce que je suis maintenant en terre inconnue. Même après vingt ans d’une carrière de sportif de haut niveau  jamais je ne m’étais enfoui dans ce pays rude, rustique à souhait. J’avais une vague idée de ce parcours mais cette arrivée au sommet du Col des Prés a le goût de l’aventure. Une remorque chargée de ballot de foin se déporte mais le chauffeur m’a vu, enfin je crois. Après trois virages de descente, le soleil me salue à nouveau et il y a Chambéry en bas. Comme Les Bauges sont les parents géologiques du Beaufortain, j’imagine qu’il faut aller vers Puygros pour revenir dans la bonne vallée et en réponse, quelques kilomètres plus loin, je tombe sur mon cap de Bonne Espérance, sur le panneau qui éclaire tout mon parcours: Col de Marocaz ! C’est ça, c'est lui le fameux col, celui qui est dans le cache de ma mémoire depuis trois heures.

Dans mon pays des Bauges, olé.  Il y a le Col des Prés comme ça et les grandes villes en bas et y’a Puygros comme ça et Le Marocaz en ça et y’a des routes en là et y’a des champs par là et des forêts oui ça y’en a et y’a Cruet en bas et j’suis bientôt chez moi.

Dans mon pays des Bauges, olé.  Y’a le jour qui tombe comme ça et il faut s’habiller comme ça et j’aime le sport comme ça et il faut rentrer, même si j’veux pas. Après une superbe descente que je n’aimerais pas monter, je vis la chanson de Dutronc, mais à l’envers. Il est 20 heures*, la nuit s’éveille et je n’ai pas sommeil. Un champ de tournesol me tourne le dos, les soldats en uniforme jaune et vert ont la tête ailleurs, ils sont déjà tournés pour saluer le premier soleil venu. Un lièvre détale à grandes enjambées, traverse la route devant moi pour s’engouffrer sous la vigne. Les lampadaires s’éveillent de leur sieste et j’ai l’impression qu’ils m’ont repéré. Ils inondent la route de leur lumière chaude et bienfaisante,  à chaque hameau mon ombre se faufile d’un réverbère à l’autre. Il est 21 heures la route des vins someille. Le grincement d’un dérailleur mal réglé révèle ma présence, une main ferme un volet dans la petite rue, j’ai dû lui faire peur.  Sans GPS ni compteur, mon TGV entre en gare de Grésy sur Isère, 4 heures après en être parti mais je ne vais pas demander à être remboursé et je garderai longtemps ce ticket de voyage. Mon minibus se change en Orient Express le temps de prendre une douche et de faire une toilette de chat avec l’eau qui reste dans la gourde. Le sel ruisselle sur mon visage et emporte toute ma fatigue. Il est juste l’heure de me pointer à mon rendez-vous au péage d’Aiton, 30 minutes d’arrêt. J’ai le temps de transformer le minibus en wagon lit, il est 23H30 mais je n’ai pas sommeil. Dans les Bauges y’a des soirée comme ça.

*une lectrice assidue a remarqué une erreur de chronologie, elle a raison, il était en fait 21h mais cela ne rimait pas avec la chanson. A suivre demain …Si vous le voulez bien.