Hip hip hip Ugra, Vendredi

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Hip hip hip Ugra, Vendredi

Le programme du jour devait nous emmener ce matin en reconnaissance de la deuxième partie, puis vers des tests de glisse cette après midi. Mais pendant qu’un œil surveille le petit déjeuner, l’autre jette un regard sur les prévisions météos et on met sur pied une nouvelle stratégie. La neige arrivera vers 14 heures et ils annoncent -10° demain matin, jour de course. Les tests seront donc faussés et le choix devra se faire à la dernière minute en éliminant les paires de skis encore dans les critères puis en adaptant la céra (fart de fluor pur) et les accélérateurs. Vu mon niveau on va se contenter de la reconnaissance et pour définir ma paire de ski entre les deux disponibles, je ferai confiance.

La neige est un peu moins collante qu’hier et on reprend le parcours là où on l’a laissé hier. Sous un ciel gris et silencieux on longe la taïga en parcourant les anses et les plages jusqu’au point de retournement. Après un selfi où j’ai encore le sourire il faut rentrer et on change radicalement d’ambiance en entrant dans la forêt. Le paysage disparaît et se réduit à sa plus simple expression, une piste bordée d’arbres où on ne ferait pas 10 mètres sans se perdre, même pour le petit poucet. La trace tourne à gauche, puis encore à gauche, serpente dans la pénombre et surgit d’un seul coup en pleine lumière au milieu d’une tranchée large comme une avenue exactement sous le trajet d’une ligne électrique à haute tension. Surréaliste.

Je me souviens d’un texte sur une promenade de Jean-Jacques Rousseau où il crapahutait dans les bois, dans les rochers, en suivant un cours d’eau pour arriver dans un coin si reculé que c’était là certainement l’état sauvage premier. Il s’installe, se prend pour Christophe Collomb, regarde les pics aux alentours et entend un cliquetis. Au bout de son périple, alors que l’on s’attend à trouver le paradis sur terre, il passe a travers les fourrés où il y a le bruit et tombe sur…une usine ! Y’a du Jean Jacques Rousseau en moi ce matin. C’est d’autant plus vrai que les potes sont partis faire quelques accélérations histoire de se dégourdir les jambes et m’ont laissé seul. Ce n’est pas le principal problème, en fait au milieu de mes photos totalement surnaturelles je me demande bien comment je vais faire cinquante bornes d’une seule traite. Autre problème, j’étais parti sans gourde (malheureusement comme d’habitude) pour une petite heure de ballade et me voilà en patrouille depuis quasiment deux heures et je suis déshydraté.

En remontant les marches bancales, par simple extrapolation, je vais mettre 3h30 demain. En regardant les égouts de l’hôtel qui se déversent juste à côté, par simple déduction, je vais en ch… comme jamais. Là, j’ai mal au dos et j’ai trop forcé mais 50 bornes dans ces conditions me foutent les jetons. Je pourrais jeter l’éponge sur cette neige détrempée, ne faire qu’un tour et dire stop, mais comment le prendront-ils ? Moi j’y arriverais bien, mais baisser les bras devant les autres ce n’est pas possible. Et l’impact écologique vous y pensez, faire tout ce trajet pour un si petit tour ? Niveau écologique, à priori, ici ils n’ont pas de leçon à donner et l’argument n’est pas recevable. Par contre, là, je revois mon prof de maths Bernard.A, qui un beau matin sur les bancs du lycée, en présentant un DS de maths avait inscrit sur les feuilles polycopiées en toute lettre une célèbre phrase du Général Bigeard « l’échec se joue souvent avant même d’avoir commencé ». Oui ce Général  avait raison, on rate souvent des choses avant même d’avoir essayé. Il disait aussi « nous sommes dans la merde mais ce n’est pas une raison pour la remuer », parce que c’était un Général parfaitement au courant de ma situation. Oui, il avait raison aussi ce cher prof d’avoir écrit ça tout en haut de cette page qui me faisait peur. Sans cette phrase j’aurais laissez filer ce devoir de maths mais grâce à lui je ne pouvais pas me prendre un zéro sans me battre. Grâce à ce joli mot, les DS ont pris une autre dimension, toutes les épreuves ont eu un autre sens. Oui, il a raison le Team Manager, on va se battre pour les objectifs, ramener le maillot rouge, une victoire ou un podium, mais surtout faire une course d’équipe et un travail solidaire. Oui, ils ont raison mes potes d’y croire, de tout mettre en œuvre pour y parvenir et avec la neige qui commence à tomber ça va le faire. Perso, l’objectif est un peu en dessous de ces valeur mais extrêmement clair : arriver au bout.

L’autre bonne nouvelle c’est que la météo a vu juste. Les premiers flocons qui tombent devant la fenêtre transforment l’atmosphère en pur spectacle, l’environnement reprend des couleurs et l’humidité devrait permettre une bien meilleure glisse ce qui est ma principale source d’extase. J’aurais encore du mal à m’endormir, Marcel, le général baroudeur, a bien stoppé le doute à la source en me mettant sur le chemin du défi mais juste après il n’a rien dit, pas un mot sur le deuxième pas. Comment retrouver de la fraicheur alors que d’habitude je ne skie jamais avant les courses ? Je décide de faire un tour par le ski room. Bubu et Stef ont bossé comme des malades tout l’après midi pour éviter un test faussé et mettront aux pieds des coureurs les meilleurs choix possibles jusqu’à la dernière minute. Devant cette débauche de travail je ne dormirai pas mieux mais je sais que moi aussi je donnerai le meilleur de moi même.