La deuxième manche de l’écolo

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La deuxième manche de l’écolo

La deuxième manche de l’écolo CrossFit Trail.

Pour pouvoir continuer mon parcours, sans fierté mais sans réelle alternative, j’ai fait pareil (NDLR : laisser sa récolte sur place), avouant du même coup mon faible niveau en ce début de saison. Pour ne pas confondre ma performance avec celle de l’autre concurrent, j’ai déposé le tout sous le tapis de la cabane des secouristes (j’avoue Marc Lacreuse c’est moi qui ai caché mes saletés sous le paillasson). Bien que ce n'était pas du tout discret, le tapis volait au dessus d’un nid de détritus, le jury n’y a vu que du feu et je suis rapidement parti à l’attaque de la deuxième manche qui s’annonçait délicate puisque je devais suivre le télésiège des Jorets à la descente sans pouvoir dévier de plus de 5 mètres de la trajectoire, le règlement est formel à ce sujet. Béni des dieux (normal, ils venaient d’inventer ce jeu) j’ai trouvé un sac plastique juste en dessous de la gare d’arrivée et comme un bonheur n’arrive jamais seul, j’ai également trouvé un premier bâton de ski qui allait beaucoup m’aider dans la pente, même s'il était affilié à un magasin de sports concurrent. J’ai pensé un instant récupérer le premier butin pour le mettre dans le sac déchiré mais le chronomètre tournait et il était impossible de remonter car j’avais déjà annoncé mon statut avec un  « éCT parti pour la deuxième manche » tonitruant.

J’ai alors veillé à marquer un maximum de point dans une série d’exercices CrossFit idéale. J’ai balancé des appuis de droite à gauche sans relâche dans la pente tout en scrutant les alentours à la recherche du moindre détritus, je glissais, je me griffais en me faufilant dans les ronces, je faisais du squat en soulevant de petits troncs, des bondissements sur les souches, des montées de genoux pour éviter les orties, des tours d’arbres le buste face à la pente, des talons fesses pour éviter les zones humides, des pompes pour regarder au dessous des branchages et je déroulais à grande enjambée dans les champs détrempés. Et j’ai bien fait. Moins de dix minutes plus tard sous le pylône 5 le sac était plein et pas avec du n’importe quoi, rien que du bon : bouteilles d’eau pleines (qu’il faut vider sur place et compacter), canettes, sticks à lèvres avec le capuchon, grande bouteille de vin rouge, rondelles et bâtons de ski, plastiques à bulles, une chaussette pingouin, des boites de conserves de sardines à l’huile et d’anchois sauce piquante, une pièce de deux euros et, clou de la cueillette, un briquet tempête. J’étais sur le point de jubiler quand je me suis retrouvé au dessus d’un passage infranchissable. Comme le prévoit le règlement j’ai pris une photo avec le #ECTimpossible et je me suis éloigné de la ligne du télésiège, la mort dans l’âme, pour la reprendre un peu plus bas avec une pénalité pour mauvaise lecture du terrain, le règlement est…c’est le règlement.

Heureusement les dieux ont encore été cléments par la suite (il faut bien qu’ils donnent un coup de pouce à cette discipline toute neuve). Après avoir suivi toute la ligne du télésiège jusqu’à la gare de départ, sur le chemin du retour, un chien répondant au doux nom de Turbo en avait après mes mollets. Je tournais et me retournais sur moi même pour le garder en visuel toujours de face, marquant de précieux points dans la partie CrossFit, mais le plus important pour mon périple c’est que ses aboiements ont fait sortir son maître. Après une brève présentation et une explication sommaire de mon sport, cet agriculteur typiquement du cru à fait rouler son clopet de tabac gris collé à la lèvre et m’a réclamé les bâtons de ski pour faire le parc des vaches, une vieille coutume qui consiste à utiliser les bâtons en lieu et place de piquets de clôture en bois ! Derrière ces mots en forme de borborygmes et grâce à cette rencontre totalement fortuite, j’ai obtenu le bonus du recyclage immédiat en circuit court qui a annulé la pénalité. Attention, je vous vois venir, vous allez me dire qu’avec ce système il suffit de refourguer votre poubelle au premier venu et c’est gagné. Pas du tout, il faut que l’intention vienne de l’intervenant extérieur pour être validée, le règlement est formel à ce sujet. Lors de la rencontre, j’ai dû montrer habilement les objets susceptibles de l’intéresser et il est parfaitement toléré de s’arrêter pour taper la causette. De plus, en n’autorisant pas le ravitaillement embarqué, le règlement a tout fait pour aller à la rencontre des autochtones et découvrir les produits du terroir, ce que j’ai appliqué à la lettre. D’ailleurs vous apprendrez bien vite que ce n’est pas forcément un temps de récupération le jour où vous devrez déglutir en plein effort des diots ou des goures (boules de farine de patate et d’œuf, cuites à l’eau),  le tout arrosés d’un café en morceau et d’une bonne gnôle du pays en fin de repas ! Mon bonus en poche et bien que ce sport soit très convivial, avant d’aborder le délicat problème de la diététique avec ce vieux garçon qui s’apprêtait à manger sa bonne soupe aux oignons, j’ai dû abréger la discussion. J’ai salué la compagnie et mon copain Turbo, tout triste de me voir repartir juste au moment où on allait philosopher autour de grands principes très intéressants comme le mauvais temps ou la qualité de l’herbe qui tardait à pousser à cause du froid. Moi aussi j’étais peiné, mais que voulez-vous, il me restait à trouver des poubelles de recyclage pour déposer le reste de la récolte avant de rentrer chez moi pour arrêter l’épreuve. Il est très important de voir cet aspect des choses avant d’établir le parcours d’un écolo crossfit trail car on peut se trimballer longtemps avec son sac poubelle. Longtemps. Heureusement ma bonne connaissance du terrain m’a amené vers des moloks. Jamais, depuis qu’ils ont été installés un peu partout dans le Beaufortain, je n’avais trouvé un quelconque charme à ces poubelles de recyclage, je leur trouvais même une laideur inégalée, mais après avoir passé deux kilomètres en portant à bout de bras mes détritus (mon pseudo sac se délitait à chacun de mes pas) ils étaient tout à fait présentables !

Trouver un point de chute est donc aussi important que votre itinéraire mais ne faites pas non plus un éCT couru d’avance, vous risqueriez de ne pas trouver grand-chose et ce serait la dégringolade dans le classement. A l’image du patinage artistique, il faut présenter un parcours original et complet, placer des difficultés techniques, séduire le public tout en conservant un savant dosage des trois postulats de départ. C’est comme en triathlon, il faut faire les trois épreuves pour arriver au bout ! Au cours de votre carrière vous aurez certainement une attirance naturelle pour l’une ou l’autre des parties de ce sport extraordinaire et formateur. Nombreuses (là, c’est misogyne) seront tentées par une approche écologique avec un entraînement quotidien dans les tâches ménagères, je n’aurais qu’un conseil : ménagez-vous. D’autres seront portés vers le CrossFit, délaissant les balades en extérieur pour privilégier des exercices répétitifs en gymnase et ne plus concourir que des éCT indoor. Pour ceux qui s’orientent vers le trail, la confusion avec d’autres sportifs d’endurance risque de vous plonger dans l’anonymat de disciplines désuètes comme le kilomètre vertical, l’ultra-trail, la marche à pied ou le marathon. Là, au sein de cette puissante fédération, au mieux on peut vous confondre avec un éboueur, mais comme il est interdit de se faire suivre par un camion poubelle (le règlement encore et toujours) vous serez reconnu à votre juste valeur. Ainsi donc je revenais fourbu à mon point de départ après 3 heures 34 minutes, mais comme on dit dans notre jargon « éCT mieux avant, même si éCT pas la mer à boire ! ». Je restais vigilant pour jeter les trucs dans la bonne couleur de recyclage car parfois la fatigue, ou le raz le bol, vous font prendre du plastique pour du verre et des vessies pour des lanternes. Je gardais la prime de deux euros qui couvrait largement mes frais d’inscription et récompensait mes efforts après un printemps d’entrainement intensif sur les pistes de ski. Je m’étalerais une prochaine fois sur les programmes d’entraînements mais cette discipline se pratique également en ski de fond et comme le ramassage de topette donne des bonus temps, sans chercher d’excuse, cela pourrait expliquer certains de mes retards à l’arrivée des courses de l’hiver dernier. Quant au briquet, il allait pour le moment me servir de trophée mais l’idéal aurait été que le propriétaire le reconnaisse sur la photo instagram #ECTàqui ? Si dans la minute qui suivait il m’avait renvoyé le hastag  #ECTàmoi! , alors là mes amis, je gagnais la partie et je devenais le Harry POTTER de l’écolo crossfit trail, aussi radical que le petit sorcier quand il attrape le Vif d’or au Quiddich. Malheureusement je n’ai pas eu de réponse. Tant pis. J’envoyais la dernière des poussières dans le dernier trou et après l’ultime canette d’Orangina jetée sans la pulpe s’il vous plaît, je pouvais enfin dire « éCT fini » pour clôturer mon premier écolo CrossFit Trail de la saison, le règlement est formel à ce sujet !