La rupture

· 4 minutes de lecture
La rupture

Elle m’a largué un jeudi soir sans prévenir,  juste un petit message laconique sur la boite mail du service des pistes.

Je me doutais bien que ça n’allait pas durer mais de là à s’en aller sans skier gare, il y a un hémisphère. La dernière fois que l’on s’est vu notre relation ne tenait qu’à une trace et j’avais du mal à suivre le filet de sa voie détrempée. Elle pleuvait toute la neige de son corps, elle avait mis un peu de maquillage, s’était repoudrée pour donner le change mais quand j’y pense aujourd’hui, elle m’avait tranquillement éconduit et laissé glisser vers la sortie.

On s’était connu en novembre sur un coup de foudre. Elle, tombée des nues dans son épais manteau blanc de plus d’un mètre, moi, tour des Bauges vêtu, qui sortais d’une relation tumultueuse avec l’été. Je l’ai abordée de façon classique, ski-roue encore en main je lui promettais de la choyer et de venir skier chaque jour. Elle avait mis du fart à paupières, du vert et du bleu, pour me mener par le bout des spatules et j’ai tout de suite su que ça allait coller entre nous deux.

Plusieurs fois en décembre l’atmosphère s’était réchauffée mais curieusement cela ne nous a pas rapproché. De sa voix toute mouillée, elle m’avait dit qu’elle n’avait plus rien à se mettre alors je lui disais qu’elle était encore belle avec ses 8 kilomètres sur les hanches de la Palette. Elle ne changeait pas, jouait avec les enfants du club, avec ses admirateurs attitrés qui lui apportait chaque samedi un bouquet de glace pilée. De mon côté, je cherchais le travail saisonnier et je l’ai négligé. Quand j’avais voulu la revoir, elle m’avait mis un vent et soufflé le chaud et le froid sur les bougies du jour de l’an sans un flocon ni une piste à se mettre sous la dent.

A partir de la mi-janvier tout est rentré dans une certaine routine. Chaque semaine, elle s’offrait de nouvelles robes blanches comme une jeune mariée. On se voyait à la sortie du boulot on passait nos débuts de soirée ensemble. Elle déroulait le tapis blanc, je lui glissais des mots doux, on dansait au pas de un, au pas de deux et je rentrais frigorifié. Les week-ends on sortait, vers Bessans, vers Font d’Urle comme des amants. Bien sûr on a eu quelques rendez-vous manqués à cause du réchauffement climatique mais on continuait de se fréquenter.

En février elle s’était mise en tête de m’apprendre la danse classique et les bonnes manières du ski de fond. Sous les projecteurs des dameuses j’alternais les pointes et les levées du talon sans grands succès. On s’était réconcilié autour d’une bonne Bornandine congelée et j’étais resté près d’elle pour suivre mon régime d’entraînement. On se voyait tous les jours, on s’était dit que nous deux c’était pour toute la vie même si on savait que ça n’allait pas durer. A la fin du mois je lui avais apporté deux billets pour un voyage de noce en Suisse. Deux places négociées sur le tapis vert et au marché noir pour une escapade en Engadine et des championnats du monde Masters vers Davos, à Kloster exactement.

En mars, on est parti comme prévu pour voir sa cousine Helvète. Il faut dire qu’elles se ressemblent comme deux gouttes d’eau, le même profil Beaufortain avec un accent qui traîne en longueur. Elle a adoré se fondre dans la foule, revoir les grands lacs de St Moritz, un peu moins la grimpette des championnats du monde ! Au retour pour me faire pardonner je lui avais offert des fleurs mais elle avait reculé, effrayée d’une relation si printanière. Comme on était déjà en avril j’ai pensé à l’inviter aux Glières pour retrouver nos souvenirs et se sentir vivant.  L’émotion était au rendez-vous, on avait mis le petit parcours dans le grand et au bout de 42 kilomètres j’étais content de payer l’addition. 15 jours après elle avait voulu nous recevoir à la maison. Elle ne savait pas qui allait venir parce que partout ailleurs l’hiver était fini. Elle avait mis du Gel dans les cheveux et quelques clubs sandwich entre deux tranches de championnats de France, mais après ce dernier tango sur l’étoile des Saisies elle s’est enfuie. Quand je pense que je suis allé la chercher jusqu’en Sibérie pour recoller les morceaux. Elle voulait faire un voyage vers le Nord pour se refaire une beauté avec de belles dépressions bien creusées. Devant mon acharnement pour la retrouver elle avait accepté que l’on se remette ensemble, mais à peine rentré elle avait pris un coup de chaud pour un rien, elle était devenue très soupe au lait.

Depuis ce fameux jeudi, elle m’a envoyé quelques cartes postales que j’ai accueilli avec fraîcheur. J’ai lu, par dessus l’épaule, des montagnes de questions où subsiste encore son écho, des kilomètres de chutes de neige où elle s’excusait d’avoir fait valser tant de malentendus.

En mai j’ai commencé à l’oublier, mais elle avait laissé traîner des affaires sur le sommet de Bisanne. J’ai rangé quelques uns de ses virages sur le névé et dessous mes semelles blanches je l’ai retrouvé. Elle était là, baignée par le soleil de Satan mais on ne s’est pas parlé longtemps. Au bout de deux descentes d’enfer et un selfi hilarant, son mouchoir de poche tout rétrécit, elle a fini par me dire droit dans les yeux, « tout est fini entre nous deux on se reverra un jour, si le calendrier le veut ».

Adieu ma belle saison.