Le CAC 40 à 2920 points

· 5 minutes de lecture
Le CAC 40 à 2920 points

La courbe du CAC 40 se découpait sur l’horizon ce matin là, une ligne de crête tracée à l’ombre des montagnes et qui grimpait par soubresauts jusqu’au plafond du Beaufortain. Cette trajectoire folle continuait sa cotation vers d’autres horizons mais le bout de ce graphique chaotique dont on allait faire l’ascension restait dans le périmètre de notre réserve fédérale. Cette montée était une grande première sur mon petit livret A d’apprenti marcheur, tout comme mes compagnons petits porteurs qui se lançaient vers cette Aiguille du Grand Fond sans pension à l’ouverture des marchés, vers 9 heure du matin.

J’avais déjà investi dans les valeurs sûres de ce petit paradis, non pas fiscal mais montagnard, avec des balades comme la Pierra Menta, le Grand Mont ou le refuge de Presset, mais là, je n’avais aucun indice, pas un seul chemin, pas un seul délit d’initié en main pour me dire où m’investir dans cette entreprise. Heureusement, notre trader local était rompu à cette valeur et comme un petit capital sympathie non négligeable se dégageait de sa personne, on a dit banco pour le suivre sur le parcours qu’il nous montrait du doigt dans un power point improvisé.

Le premier marché, celui de l’approche, se déroulait sur une route en pierre. Un plan qui nous épargnait toute forme de risque dans cette combe de l’Arpire dévouée aux alpages du Beaufort, la matière fromagère qui a façonné si magnifiquement ce paysage sauvage. Notre seule action était de mettre un pied devant l’autre dans cette vallée déserte où seul le flux de nos paroles commentait le bruit des cloches de vache, pas un seul indicateur macro-économique à l’horizon pour nous faire ralentir. Notre start-up s’est élevée, uniquement vérifiée par l’autorité des marchés  qui nous faisait contourner les blocs de cailloux chargés de mousses et de lichens. Le second souffle était pour une actionnaire un marché obligataire. Une pause, une régulation cardiaque à faire retomber juste avant de se lancer, chacun dans son algorithme, défier l’équilibre précaire d’une pente caillouteuse de 300 mètres. Les chevilles et les mollets sont chahutés mais chacun s’accrochait aux herbes pour sortir de cette spéculation sans faire de moins value et atteindre la ligne de crête en équilibre. Installé confortablement sur ce premier palier, notre société contemplait SAS (Son Altesse Sérénissime) le Mont Blanc dans son écharpe cotonneuse et prenait quelques bénéfices avec un peu de liquidité avant de poursuivre la plus haute valeur de notre coin de paradis, 2920 mètres.

L’accès n’était pas direct et demandait  quelques arbitrages de la part de notre agent de change pour se faufiler entre les à-pics et les bruits de couloirs que des cailloux dévalaient sans crier gare. Deux petits bouquetins taxaient une herbe rase sans valeur ajoutée mais restaient sur leurs gardes en contrebas, bien au chaud sur les dalles de granit. J’ai pris ce moment pour diffuser un communiqué de presse. Avec la perspective d’un indice élevé d’acheteur et, sans dépasser le prélèvement libératoire sur la flore alpine, j’ai pris mon temps  pour cadrer une nature dans toute sa splendeur. Via Instagram, le seul média après vos yeux digne de ce nom dans un tel endroit, j’ai mis en stock option quelques clichés que j’allais diffuser plus tard, quand la 4G allait refaire surface.

L’effort était rude à la reprise mais après trois heures de montée, mon palais Brogniart à ciel ouvert se dégageait. J’avais le vertige devant ces abysses et ces falaises, dessus ce ciel et cet espace qui respiraient la santé. Mes petits porteurs se sont postés là sur cette valeur refuge et n’ont rien dits, parce que ces moments ici n’ont pas de prix. On a fini nos liquidité mais il fallait bien que la bulle récréative éclate et nous fasse redescendre à une valeur plancher. Je m’attendais donc à une descente sans parachute doré dans le fond du Fond,  vers ces névés qui ne sont plus protégés par aucun bouclier fiscal, quand le gérant de notre portefeuille qui était resté en veille, nous a signalé un chamois sur l’arête Nord.

Sitôt aperçu, il dévissait, et devant nos yeux, il se lança dans une OPA (Offre Publique d’Admiration) absolument folle. Il jonglait sur des failles juridique pas plus large qu’un demi-sabot, sautait, lançait ses pattes vers d’invisibles points d’appuis qu’ils franchissaient en une micro seconde, prêt à se rompre le cou pour nous contourner. La décote brutale qui n’avait rien de virtuelle lui laissait pourtant le temps de tout anticiper, de tout calculer, pour que, 30 secondes plus tard, il soit hors de portée.

Retrouver ses traces nous pris au moins 30  minutes. Dans cet univers minéral où l’érosion caniculaire est galopante, à force de regarder la roche on a observé d’autres traces, celles des glaciers fantômes, ceux qui étaient là bien avant le CAC 40 et son réchauffement climatique. On se posait beaucoup de question sur l’avenir  de nos avoirs sur cette terre, des actifs toxiques sur nos forêts, du crédit revolving planétaire consommé de plus en plus tôt chaque année. Impuissants, on a continué de dévaler le pierrier sans retenue à la source et on allait arriver au bord d’un petit lac quand notre attendu business angel a choisi de passer dans son bimoteur à hélice juste au dessus de nos têtes. Je l’avais averti plus tôt de notre position et comme il rentrait vers le Sud, il fit une visite de courtoisie, trois cercles pour signifier d’un « vu et approuvé » cette rencontre improbable, trois tours de main pour faire un constat d'huissier sur cette perte sèche qu'il faudra porter au débit des climatos sceptiques.

Avant de repartir, j’ai  rempli ma part sociale en rapportant une bouteille (vide), une vielle boite de conserve et un paquet de cigarettes, jetés par quelques boursicoteurs du dimanche qui n’avaient pas déposé dans la corbeille leurs désordres. Après cela, le compte de résultat allait afficher 6 heures de marche, il nous restait à rejoindre à travers champs le Cormet de Roselend, notre Capital.