Le Grand B®ec

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Le Grand B®ec

Volant cuir, siège baquet, carrosserie orange aux couleurs du Rossignol Gel Interim, mon grand break était prêt pour cette spéciale de 42 bornes bien tassées, en Vanoise, entre Grand Bec et Grande Motte. Comme j’avais rendu au team les bons pneus Hakkapeliitta que j’avais en Finlande, j’ai chaussé mes gommes rechapées du début de saison et cela devrait suffire pour ce test d’essai avant les grands lacs de l’Engadine la semaine prochaine. Je cache une grosse fatigue de trois semaines de boulot derrière mes vitres fumées photochromiques et en regardant de plus près la banquette arrière on voit les valises sous les yeux. Au parc fermé, je salue les copains pilotes, mon dossard m’attend dans sa chemise kraft avec un kit de contrôle technique à attacher à la cheville. On parle, on cause bagnole, on s’échauffe et après une petite vidange il faut démarrer au starter. Je mets le pied sur l’embrayage et le grand Break commence à rouler. J’ai un poids total en charge un peu élevé en ce moment j’aurais dû poser les bagages, larguer les charcuteries accrochées au rétroviseur et vider la boite à gant de tous ces Pitchs au caramel. J’aurais dû faire aussi le ménage, ça sent le renfermé, la bagnole est restée au garage depuis les championnats du monde munster ! Le pare brise est un peu sale, je me place dans la file pour éviter l’accrochage, les vitesses passent bien mais je vais faire la montée à l’économie. Avec ma vieille guimbarde (51 au compteur) j’ai l’impression d’être dans un  essai comparatif. Devant moi un moteur électrique grimpe sans bruit, un vieux moteur essence seize soupapes sent bon la transpiration et trois belles jeunes hybrides, qui ne doivent faire qu’un tour de piste si j’en crois leurs numéros de châssis, rechargent les accus au moindre replat. Au sommet il y a un Ravito drive. Je baisse la vitre et commande un thé, mais j’ai à peine le temps d’enlever la ceinture de sécurité qu’il est déjà livré. Je l’avale et il faut repartir dans les traces. Dans la descente, à fond de 5, le Break commence à louvoyer, à prendre toute la piste. Pas besoin de photo pour voir que les suspensions du grand break ne tiennent pas bien la route. Ils ont une boite 6 vitesses pendant que moi je suis au rupteur et dans un moment je vais perdre un enjoliveur si je ne fais pas attention. Sur le grand plat qui suit, l’overdrive saute à chaque petit raidillon et je suis obligé de tomber une vitesse pour rester dans le groupe. A ce régime le moteur crache le diesel et rejette du CO2 bien au delà de la limite autorisée. Dans le bouclage du premier tour, juste derrière l’église j’ai dû prendre un clou au moral, une crevaison lente avec une fuite des ambitions. Un pneu à plat, trahi par la mécanique, le turbo qui siffle, la deuxième montée s’annonce compliquée. Il reste encore quinze bornes et le voyant de la jauge d’essence qui clignotait devient permanent. Sur la réserve, il va falloir avoir une conduite économique mais comment faire quand on est déjà au point mort ? Garé à contresens un adversaire m’encourage de quoi tenir jusqu’en haut. Le deuxième Ravito drive est encore plus expéditif que le premier et me reste sur l’estomac. La climatisation est en panne alors j’ouvre en grand la bouche pour souffler dans la descente. Je sors la tête par la fenêtre pour mieux respirer et me rendre compte que je n’avance plus très vite. Mon copilote n’arrête pas de tchatcher sous mon bonnet et commence à m’envoyer des notes pourries. Il me balance que ma technique n’est plus très bonne, que cette fois c’est pas sûr que j’aille jusqu’au bout, que je n’ai peut être pas assez mangé ce matin, que je suis sûrement en hypo. Je lui réponds « tais toi, j’écoute le moteur, ferme la, on va finir on n’a pas le choix » et j’ai débranché le cerveau. Silence radio, plus le moindre bruit, concentré sur le souffle je joue avec l’embrayage pour ne pas caler. Le moteur ne tourne plus que sur 3 pattes la bielle n’est pas loin quand un autre diesel me dit à la C.B « allez viens Franck ». Je m’accroche, serre cette sangle à mon pare choc, mais elle aussi se distant et cède à 3 kilomètres de l’arrivée. Un pneu crevé, un pneu cramé, je jette un coup d’œil au rétroviseur, plus personne. Je peux terminer en roue libre. L’autoradio annonce que Marion vient d’arriver quand je passe devant la borne 2 km les warnings tout allumés. Un dernier virage, les pneus crissent pour venir me garer à la  28 ième place en 2heures 14 minutes, deuxième de ma catégorie, mais à vrai dire il n’y avait pas beaucoup de grand Break au départ. Puisque c'était compris dans le prix j’ai fait le plein en tartiflette 95 calories sans plomb garantie grand froid et je suis rentré. Il faudra vraiment que je retrouve des chevaux sous le capot pour dimanche prochain.