Qui ne dort pas, BORNANDINE

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Qui ne dort pas, BORNANDINE

Jusqu’au-boutiste, j’ai mené ma méthode d’entraînement à son paroxysme depuis 7 jours en évitant le sport au maximum. Mon travail, pas fictif pour un sou, m’a tenu loin des efforts et hormis une séance de 30/30 sur un home trainer mercredi tard le soir, j’ai réussi. Petite précision pour les lecteurs de Ski Chrono, je ne compte pas la sortie skating de 30 minutes à allure très modérée en compagnie des skieurs de l’équipe de France de ski alpin, parce que je l’ai immédiatement compensée par une salade périgourdine bien chargée. Le plus difficile quand on atteint un tel degré de préparation c’est de résister. D’y croire et de résister. Finalement, au moment où je m’y attendais le moins, comme des molécules d’eau qui s’infiltrent dans une dalle de béton fissurée, le doute s’est immiscé dans mon cerveau à 11 heures du soir et à 4 heures du matin le gel a fait exploser mes certitudes, c’est l’insomnie, sommeil cassé.

La réussite tient chez moi en deux mots : physique ou mental. Parfois l’un, parfois l’autre, parfois les deux en même temps. Clairement ce matin, en partant pour le Grand Bornand je n’ai ni l’un ni l’autre et je me prépare à un KO debout, je m’attends à prendre une droite en plein orgueil au beau milieu de cette Bornandine de 28 kilomètres. Je ne suis pas du genre à me débiner et en me disant que cela devait bien arriver un jour, je me trouve deux objectifs de dernière minute pour faire la course : arriver et ne pas se faire prendre un tour sur les 4 prévus ! Au départ, il tombait des reblochons quand on est parti à 30 de front. Rapidement, l’entonnoir s’est resserré et la vague s ‘est brisée pour ne plus faire que deux mètres de large. Dans ce couloir fraichement damé, des bâtons se cassent et on frôle le débordement à chaque écart de bras, on chute à chaque écart de pied. En double poussée, la coulée de coureurs rejoint les rapides et entame la descente vers le bas de vallée. Asphyxié par crispation et par le fait que je devais suivre le rythme pour ne pas être submergé, je laisse mon radeau voguer jusqu’à la remontée. Là, une nouvelle marée me dépasse, j’écope sur le bas côté. J’en laisse passer encore deux et après je stabilise, mais avec mes lunettes qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à des lunettes de piscine, mes dragonnes qui se débinent à chaque poussée, le tableau noir du Radeau de la Méduse n’est pas loin et après le premier tour j’ai jeté l’éponge. Non je n’ai pas abandonné mais je me suis résigné. Les flocons sont encore gros comme des pétales de céréales pendant les 3 tours restants. Je les compte un à un, sans génie, la tête engoncée à ne plus avoir de cou ni être capable de reconnaître Marie-Laure qui m’encourage. Dans le dernier tour, sur l’autre rive de la vallée du Bouchet, Backscheider, la Haute Savoie Nordique et le Gel Team Rossignol rentrent au bercail dans l’estuaire, l’honneur est sauf jusqu’à l’arrivée. Je remercie mes coéquipiers et je file me réfugier dans le bus. Je bénis mon fils qui a oublié son sac de couchage en duvet et je vais trembler ici une bonne demie heure en parlant tout seul, incapable de calmer mes tremblements après cette séance « autowash » d’une heure trente trois. La buée monte sur les vitres, encore quelques minutes et je vais me rhabiller, ranger mes skis, descendre à la remise des prix, manger un morceau.

Après l’assiette de charcuterie je me détends enfin dans la grande salle où 400 personnes refont la course. Soudain un silence impressionnant se fait en mémoire de ces 4 filles (Colette, Eliane, Mado et Mireille, 4 monitrices de ski de fond qui ont perdu la vie accidentellement), un recueillement très digne qui donne un sens profond à cette Bornandine depuis 30 ans. Reviennent ensuite les résultats où à ma grande surprise je monte sur la deuxième marche du podium.

Tout sourire pour la photo de ce défi relevé, c’est alors que l’on me tend un cadeau absolument divin, une surprise dont la valeur émotionnelle se place sur le podium de l’ensemble des trophées que j’ai remporté, directement entre la tête de chamois gagnée au grand prix de Modane en 1977 et la paire de chaussette abandonnée à mon rival au grand prix de Molliessoulaz en 1974, un lot que l’on adresse à un connaisseur, à un amateur de sensation forte, à un amoureux du terroir, un bonheur simple comme l’odeur de la terre, fort comme la montagne, un sans faute pour l’organisation qui en plus d’une course superbe m’a offert une bouteille de gentiane artisanale ! http://www.labornandine.com/photos.html