Sauts de puce aux Glières

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Sauts de puce aux Glières

Elle avait déjà sauté dans le caniveau en 2017. Quelques minutes après le départ, à peine lancé dans le tour de chauffe, elle avait pris la poudre d’escampette pour s’étaler en pleine verdure pendant que j’allais cravacher d’un bout à l’autre du plateau des Glières. Probablement mal attachée, j’avais entendu un son sans me douter que c’était celui d’un déchirement, sans savoir que c’était elle qui me faisait faux bond. J’avais pour ma part continué ma route sur ce parcours de 42 kilomètres en plein soleil, j’avais géré mon effort pour finir en trombe, deuxième vieux à la 46 ième place du classement général.

Les bras au ciel sur la ligne d’arrivée m’étaient vite tombés sur les chevilles quand, au moment de l’attraper, je m’étais aperçu qu’elle n’était plus là. Sueurs froides vers le tableau d’affichage où l’on ne pouvait que constater que ma petite puce avait disparu ! Rassuré par l’organisation qui avait bien voulu valider manuellement mon chrono, je m’étais employé à la chercher pour lui passer un savon et surtout ne pas payer sa caution. En me rappelant que j’avais eu cet incident de parcours j’avais fouillé, dans les bas-côtés de la piste, dans les mousses et les herbes trempées et au bout d’un quart d’heure, au milieu des moustiques, je l’avais retrouvée toute penaude, sale et détrempée.

Je ne sais toujours pas quelle mouche l’avait piqué dans cette friction de début de course. Elle avait certainement tenté de sauter sur un autre cheval plus rapide plutôt que de se traîner à ma patte, mais au final elle avait lamentablement échoué dans les marécages de printemps. Elle était inanimée et méconnaissable mais je l’avais ramené telle quelle pour montrer ma bonne foi. Après l’avoir laissé en soin intensif auprès de l’organisation qui n’engageait pas son pronostic vital, mon frère Karl et moi, avions quitté les lieux en considérant que l’incident était clos, que mon sens écologique était sauf et que ce marathon était vraiment fantastique.

Bis repetita en 2018. On était de retour dimanche dernier sous un ciel gris, un plateau surchargé de neige et pleins de bons souvenirs dans la tête. Après un véritable échauffement qui nous a conduit de chez Constance jusqu’au départ du marathon sans pouvoir couper à travers bois (à cause de l’épaisse couche de poudreuse), on a récupéré nos sacs contenants les dossards et nos fameuses puces électroniques chargées de nous suivre et de nous chronométrer.

Pour éviter toute nouvelle surprise, j’ai attaché immédiatement la mienne à ma cheville droite, recouvrant largement le velcros pour qu’elle ne puisse pas s’échapper. Ne tolérant pas le moindre écart de conduite ni le moindre espace de liberté conditionnelle, je l’ai surveillé jusqu’au départ de 9 heures. Contrôlant de près ses allers et venues à mes pieds pendant les premiers kilomètres, j’ai ensuite fait ma course avec ses traditionnels aléas sans trop y penser.

Je m’échappais systématiquement d‘un groupe pour fondre sur un autre à la faveur d’une glisse presque malhonnête, j’assurais mon souffle à chaque ravitaillement tout en pointant ma détenue qui se tenait à carreau. Sans aménagement de peine je me suis retrouvé au 22 ième kilomètre à la tête d’un commando. Forçant le pas, je me suis mis en chasse du groupe précédent jusqu'à ce que je m’aperçoive qu’il était lui-même emmené par… mon meilleur rival ! D’un lacet à l’autre l’écart ne faiblissait pas alors bravement je lui ai lancé « attends moi si t’es un homme ! ». Il semble que cette fois* il ait entendu cet appel du mi-chemin mais pour toute réponse il a eu un grand éclat de rire et les 3 minutes de retard sont restées.

J’ai résisté (non, je ne peux pas décemment employer ce mot ici), je me suis battu (non, je ne peux décemment pas employer ce mot ici non plus) alors je me suis arraché pour ne pas faiblir et tenir mon rang. Au sommet du juge de paix qu’est la montée des Mouilles, j’ai constaté que je pouvais encore gratter quelques places en me lançant à corps perdu dans la descente. La neige lustrée tentait de saboter mes plans mais mon passé de chasseur alpin m’a fait tenir debout et je suis remonté fier jusqu’au poteau d’arrivée. Dans un premier réflexe de mémoire j’ai détaché ma puce menottée et je l’ai immédiatement remise dans le droit chemin des organisateurs. Une heure plus tard mon frère arrivait et on est rentré tout tranquille.

Fin de l’histoire  me direz-vous !?  Pas tout à fait car cette fois la piqûre de rappel est arrivée sur mon ordinateur quand il a fallu chercher mon classement. Plus perverse, plus sournoise que l’année dernière, certainement par revanche, cette petite bête a voulu me faire payer ces deux affronts en me déclarant absent de l’épreuve ! Je me suis fendu d’un mail au gardien du temps ainsi qu’aux maîtres éleveurs de ces petites bestioles pour que finalement il lui fasse avouer que j’avais fini 31 ième et premier vieux. S’excusant pour cette erreur, au tribunal des Glières, ma puce transpondeuse a pris 2h05mn ferme, avec 3 minutes de probation sur le rival et 21 minutes incompressible sur la gagne Suisse !

Je reviendrai la voir l’année prochaine, si elle n'a pas muté dans son silence.

*La même phrase fût prononcée à la Foulée Blanche, mais à l’époque, mon rival de l’hiver, en plus d’être légèrement aveugle, était sourd.