S’il te plaît, dessine moi 2/3

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S’il te plaît, dessine moi 2/3

S'il te plaît, dessine moi un dossard. Huit heures de sommeil plus tard la planète Vuokatti s’étale devant la fenêtre. Des milliards d’arbres dessinent les contours de lacs blancs et d’horizons bleutés, longent les routes, encadrent le moindre chemin. Des résineux longilignes et grisonnants, clonés à l’infini, viennent jusqu’à se blottir contre les bâtiments. Saupoudrés de neige ils dansent timidement et tricotent, épines dans le vents, la lande du froid. Au premier plan un train de fondeurs en style classique fonce à toute vapeur suivant d’invisibles rails de neige posés sur un rivage, derrière nous une locomotive Russe entre en gare les bras levés, de toute évidence, une course est déjà partie. Mon coach et moi sortons tout juste du petit déjeuner. On a évité les trucs trop gras et trop salés et on a mâché un gloubi boulga d’avoine avec une petite galette fourrée d’une sorte de porridge à l’intérieur. C’était nourrissant et presque bon. Sans prévenir, le haut parleur se met à hoqueter des syllabes congelées, j’ai d’abord pensé qu’il tombait en panne mais en fait il parlait finlandais. Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours pensé que le finnois c’était la langue de Leelou dans le film le cinquième élément, j’aime quand elle explique à Bruce Willis qu’elle est tombée dans son taxi (bigbadaboum !) et qu’elle a besoin d’aide, ça claque, ça vit. En réalité cette langue est sans phrases, sans intentions, sans intonations, sans émotions, et, excusez du peu, elle est incompréhensible. On ne sait pas par quel bout l’attraper, fluide mais saccadée, elle roule doucement en pleine ligne droite et stoppe en pleine montée. La traduction en Anglais me ramène aux championnats du monde avec le départ annoncé du groupe Master 9. Si moi je suis dans la catégorie master 5, alors ceux qui partent maintenant ont plus de 70 ans et à les voir détaler comme des lapins il semblerait que le ski de fond soit une cure de jouvence, un miracle pour la santé. Après avoir contemplé tous ces athlètes et reçu une deuxième salve d’anecdotes sur ces masters de ski de fond mon coach a continué de cogiter sur l’organisation d’un tel événement chez nous. Pendant que je commençais à parler tactique pour les 30 bornes de demain, lui n’avait d’yeux que pour les installations. Et un bâtiment de 80 mètres de long par là, ce sera un chapiteau aux Saisies, une piscine par là, chez nous aussi, des logements pour 1200 coureurs, pas de problème on logera sur la station. Techniquement ? Pas compliqué. Politiquement ? Favorable. COACH, je fais comment demain ? Alors on va aller manger et après on fera le parcours. Du saumon et des patates plus loin, sans l’ombre d’une sieste, nous voilà au milieu des bois. C’est l’extase, c’est beau à n’en plus finir. Mon coach imprime une allure de sénateur entrecoupée de pauses découvertes, en mauvaise langue on pourrait traduire par « il est à fond et souffle beaucoup, il doit s’arrêter de temps en temps pour récupérer ». La première partie tourne autour du complexe de Vuokatti qui est en fait une sorte d’INSEP des neiges en Finlande. Les tremplins, le pas de tir de biathlon et même un tunnel de 2 kilomètres reçoivent l’élite de ce pays de 5 millions d’habitants. Dans la deuxième partie, après avoir longé un lac on entre dans la taïga. Des chalets de refuge organisés comme des bivouacs sont là en cas de problème mais le parcours nous fait déjà revenir sur nos pas, 15 kilomètres sont passés. Un dernier test est nécessaire pour choisir entre mes deux paires de skis. Incapable de discerner une quelconque différence, je fais confiance, et plaisir, au coach qui est formel pour la paire S2. Rentré au bercail il m’impose une séance d’étirement. J’ai beau lui expliquer que cela ne se fait plus de notre temps, je comprends qu’il marque là un signe d’autorité et je m’exécute en essayant de me rappeler ces gestes d’une autre époque pour allonger les muscles. S’il te plaît, dessine moi un sauna alors ? Non, une bonne douche et on va manger. Du saumon et des patates plus tard, après une nouvelle salve de souvenirs grandeur Master et quelques échanges avec la planète via la box wifii de l’appartement il est temps de se coucher. De tourner dans le lit. De se retourner dans le lit. De se re-retourner dans le lit. S’il te plaît, dessine moi une course de championnat du monde.