S’il te plaît, dessine moi 3/3

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S’il te plaît, dessine moi 3/3

S'il te plaît, dessine moi une course. C’est presque devenu une habitude, la veille de course est une petite nuit avec des choses qui trottent dans la tête. Au début c’est un petit alizé de pensées fraîches comme « est-ce que je me suis fait enfumer de 50€ pour mon fartage ? » et puis la tempête monte, « est-ce qu’ils vont mettre le bon fart, ils avaient pas l’air très pros ? », pour finir en Maelström « si ça se trouve c’était même pas des pros, ça sent le complot Russes pour te mettre un mauvais fart ou pour te voler tes skis ». Un verre d’eau me calme jusqu’au « debout champion » du coach. Après le petit déjeuner traditionnel (gloubi boulga thé galette porridge), je chausse ma tenue. C’est le terme exact car les tissus de compression des fondeurs n’ont plus rien à envier aux combinaisons rentrées aux chausse-pieds des skieurs alpins, il faut être contorsionniste et diablement souple pour être présentable et sans faux plis. Histoire de se rassurer totalement je pars immédiatement au ski room ou m’attendent les deux comparses italiens avec ma paire de ski. Ils me disent en Italien (j’ai fait Italien au collège) qu’il y a un accélérateur dessous et que le mieux c’est de ne pas skier avec, avant. Entre latins on va se faire confiance et je m’échauffe une quinzaine de minute avec les mulets. La piste est encombrée de testeurs de comparateurs de skis bien alignés, chaussés puis déchaussés, de repères en forme de brindille déposés méticuleusement sur le bord des traces. Il y a de la pointure et de l’enjeu à ces championnats du monde et je me sens tout petit au milieu de leurs quarante ans de carrière chacun. Je suis sûr que toute ma vie de fondeur tient dans un mois d’entraînement pour eux, heureusement mon Coach est là. Il ne dit rien et pense au bel événement que l’on pourrait organiser aux Saisies. Il a raison. On pourrait faire ces championnats à la maison un de ces quatre et on ne va pas se lamenter. J’arrive de la chartreuse, de la Foulée, de Bessans, auréolé de trois podiums master 5. L’objectif c’est de conduire ma course, de franchir l’arrivée et de finir dans les trente sur les 53 au départ. Je regarde autour de moi les dossards commençant par 5000 et je pense qu’il y a une erreur avec le mien, ils sont tous vieux, ça commence mal, ils ne m’ont pas mis dans la bonne catégorie. Ah oui, moi aussi j’ai vieilli, excusez-moi les gars. Une fois le tic tac du compte à rebours enclenché j’ai moins fait le fanfaron. Ils sont lestes, pas toujours académiques, mais lestes. Je me cale dans le deuxième groupe aux alentours de la trentième place, les Italiens ont fait du bon boulot, je glisse ni plus ni moins que les autres avec tous leurs essais de matériel. Aux environs du 7 ieme kilomètre je n’ai pas vu que celui que je suivais aveuglement s’était laissé décrocher de 50 mètres. Je le dépasse mais trop tard, je ne les verrai plus. Un peu dépité je passe devant le ravitaillement et le Coach me dit que je suis 14 ième. Incrédule je pense qu’il dit ça pour me motiver. Je continue mon chemin, la première boucle se termine et je passe sur le stade avec les honneurs et les encouragements du public, enfin, il me semble. Le deuxième tour est copie conforme du premier. Coach me confirme que je suis quatorzième et qu’il faut croquer celui qui est devant ! S’il te plaît, dessine moi un cœur gros comme ça ! Je remonte des dossards mais ce sont des attardés. Non, ne me faites pas dire n’importe quoi, je remonte sur des coureurs qui ne sont pas dans ma catégorie, qui ont raté leur course, qui ont coulé une bielle ou qui n’avaient pas le niveau. Finalement dans la bosse je passe un 5000, puis un autre, puis un autre. Je suis donc 11 ième avant la descente que je skie à fond. Un bruit de spatule me poursuit. J’attaque le plat, un bruit continue de me suivre. A la dernière petite bosse le bruit me dépasse par la droite avec des skis orange et un dossard 5000, je n’ai pas le jus pour le suivre. Il est l’heure de franchir l’arrivée, heureux mais pas comblé parce que j’ai clairement manqué d’ambition pour finir dans les dix. Je vais remercier mes Italiens et cette fois, Coach, je vais faire un sauna. « Avant il faut d’abord faire une séance de récupération ». Du saumon et des betteraves rouges plus tard, nous voilà à la découverte de nouvelles pistes extraordinaires à travers lacs et à travers ciel pour reprendre Brassens. Au retour, bien décidé à braver l’autorité je mets en route le sauna et Coach refuse mon invitation en me glissant une confidence qui fera date dans notre équipée : en réalité il n’aime pas ça. Alors je m’y glisse sans un remord et avec le plus grand plaisir. Le soir, entre rennes et bières, une salve de belles histoires des championnats master sera tirée en mon honneur pour cette course et une petite voix me dit : s’il te plaît dessine moi tes souvenirs à toi.