Je suis rentré sous les ordres du starter avec l’humilité nécessaire, posé mes skis religieusement en direction de la piste et hoché la tête pour le regretté Jacques. Après les premiers kilomètres de mise à l’épreuve, en colonne par deux, dans un silence de souffles et d’efforts, la procession avance sur Prémanon. A peine le temps d’un ravitaillement frugal que le cliquetis des bâtons des spatules et des talons reprend sa danse. Quelques pas bien cloitré dans un groupe, j’entends la foule massée aux Rousses. L’arène y est pleine de vie jusqu’à la montée de l’opticien où l’on se signe à la gloire du sport. En avançant sur Bois d’Amont c’est le temps de la première solitude, celle qui fait du bien, en poussée simultané je respire la liberté. Encore et toujours des encouragements pour la montée du Risoux qui, cette fois, ne sera pas mon chemin de croix. Avec patience et détermination je veux graver mes bonnes intentions dans le marbre tout au sommet. Mais la route 66 (!) est encore longue.
Bellefontaine sonne le changement et dissout la couleur de mon ciel. Vent debout, agacement, impatience, Transju de tomate, Transju de carotte, Transju de citron, le style est moins catholique, protestant sur une congère par ci une rafale de vent par là, belle solitude, tu deviens pesante. La Chapelle des Bois n’exauce pas mes prières, ne me rend pas serein, la colère gronde et me demande ce que je fous là. Transju de boudin ou Transju de chaussette, il faut s’élever jusqu’à la Célestine la bien nommée, mais le doute en prend exactement le sens inverse. Par tous les Saint Jacques de Compostelle, les kilomètres ne défilent plus, la bise mord froidement mes ambitions et me rabat le caquet. Il faut faire la paix, recouvrir sa raison d’une épaisse couche de dérision jusqu'à Chaux Neuve. De buttes en faux plats, le chapelet des bornes s’égrène et la résistance s’organise. De minute en minute puis de seconde en seconde, il faut relativiser la douleur et continuer d’ouvrir la voie jusqu’à la dernière citadelle. Franchir le pont, courber l’échine, porté par l’essentiel, incroyablement allégé de superflu, je traverse la plaine pour toucher là tout au bout du chemin, emmitouflée dans son halo de froid, Mouthe, la terre sainte de tous les Transjurassien. 4h15, 216 ième.