Un Piccard en Picardie, suite.

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Un Piccard en Picardie, suite.

La pluie tambourinait  sur le velux depuis un moment, je crois même qu’elle ne s’était pas arrêtée depuis tout à l’heure quand je me suis couché. Après la pluie, la pluie. Dire que cela fait 25 ans que cette course existe et qu’il n’a plu qu’une seule fois. La deuxième fois tombe sur moi mais je ne sais pas si je dois les croire, tellement ce temps va bien avec ce que j’attendais.

5 heures de sommeil et il faut chausser dans le petit matin, jouer au palefrenier pour mon vélo, le sortir de sa housse, monter les roues, vérifier ses fers, lui mettre son dossard, se mettre en selle pour rouler 500 mètres et faire la surprise.

En fait, au départ on est venu que pour ça. Une délégation des Saisies devait saluer le départ en retraite de l’autre VIP de la station. On avait pensé débouler sur son plateau de télé en criant bonne retraite Henri mais ce n’était pas le genre du personnage et venir dans son fief le saluer s’est avéré une bien meilleure idée. On s’est faufilé sous le porche, fait des messes basses pour ne pas l’alerter, devant tout son clan sa femme lui a délicatement mis les mains devant les yeux  et puis en les enlevant elle a calmement dit surprise ! Il était vraiment heureux. Dans ses yeux, dans ses bras, dans ses paroles. Il était content que  l’on ait fait 800 kilomètres pour le voir dans sa Picardie, que l’on ait prit le temps de venir chez lui à Eaucourt sur Somme, que l’on soit venu pour faire sa course de vélo, la Ronde Picarde d’Henri Sannier. Il a proposé du café, des croissants, du fromage, mais on a refusé de le tremper dans la chicorée, c’est dommage, on était un peu pressé pour rejoindre le départ à Abbeville. Un brin de soleil vient même saluer la petite troupe de ses proches qui joue les confluences et rejoint le gros peloton fort de 2500 cavaliers. Interviews, remerciements, tout est chaleureux ici sauf le ciel qui ne se montre pas sous son meilleur jour. L’eau remonte par capillarité jusqu’aux genoux alors que le départ n’est pas encore prononcé, mais ce n’est pas grave j’ai le sentiment d’être en pèlerinage.

Finalement à huit heure on s’élance, j’ai maintenant l’habitude de voir les bolides me passer au raz des sabots mais ici, avec leurs roues lenticulaires et les gros développements, ça fait vraiment du bruit. Sans illusion la pluie est revenue sur le parcours et s’élève dans de belles gerbes qui s’échappent de toutes les roues arrières. Je reste vigilant sur ma trajectoire et regarde effaré tous les dix mètres un concurrent qui s’arrête. Les victimes de crevaison se comptent par dizaine. Ils galèrent les uns après les autres et réparent sur le bas côté. Pur sang Anglais, Belges, Hollandais et Français se côtoient, s’aident parfois. Sans illusion non plus, je n’avais pas mis de lunettes, elles auraient été inutiles. De grosses gouttes s’écrasent sur mon casque, jouent des claquettes sur mon coupe vent, ah oui c’est vrai, ici, ils disent K Way. Le rideau de pluie se dissipe et je me retrouve dans cette croisade avec un visage familier à mes côtés, Jean-Marc. On va chevaucher ensemble pendant de longues heures dans les champs de betteraves et de chicorées. Il n’y a pas de course à proprement parler, on se suit, dans les descentes et dans les montées, d’un groupe à l’autre, lentement les organismes s’essoufflent. La charge du départ s’est transformée en une lente procession et « ne pas crever » est devenu mon seul cri de guerre. L’air est frais, chasse les nuages et la pluie mais en ramène d’autres. On se décide à quitter le K way et on roule en manche longue. Sur mes jambes, une sorte de cambouis mélange de la terre avec du gas oil et macule mon destrier. C’était bien la peine de le nettoyer, il est devenu aussi sale qu’avant ! Des ruisseaux chargés de boue nous assaillent de droite et de gauche puis dévalent la route à nos côtés, en levant la tête j’aperçois un nouveau rideau de pluie qui s’avance, alors dans la petite montée, retranché sous un arbre, je prends le temps de remettre mon coupe vent mais quand je reprends la route, je suis seul, Jean-Marc a disparu. Je le retrouverai plus loin mais en attendant, dans le brouillard une éolienne joue au fantôme avec les nuages qui passent, les bénévoles sont au chaud dans les voitures, c’est un temps à ne pas mettre un Picard dehors. Comme à l’accoutumée, j’aime ce genre de défi. Mon baptême du feu en Picardie ne pouvait que se faire sous un déluge de pluie. Au village, je fais pipi contre le mur de brique rouge, de toute façon il est déjà détrempé. Je regarde les maisons aux alentours et j’ai l’impression d’être en plein cottage anglais, mais voilà qu’une escadrille approche, le temps de sauter dans la roue et me voilà reparti vers la mer.

Encore et toujours des crevaisons poinçonnent les kilomètres, mais du sable fait son apparition sur le bas côté et après un coup de cul phénoménal qui fait presque cabrer mon vélo, le ciel se dévoile sur une mer splendide. En longeant le littoral, je devine les vagues à travers les rues d’Ault qui descendent en dos d’ânes vers la mer, comme à San Fransisco. Ponctuées par chaque blocs de maison, les eaux turquoises brillent et jouent avec une énergie folle à renverser un blockhaus. On s’échappe par une tranchée dans la dune de sable. Tiens revoilà Jean-Marc et il va faire le suceur de roue jusqu’au ravitaillement, tiens revoilà la pluie mais j’ai retenu la leçon, j’ai gardé mon coupe vent et c’est moi qui mène le train jusqu'à Cailleux sur mer. Les cabines de mer sont bien rangées sur des galets qui font le dos rond. La guirlande de couleur est posée sur cette sorte de dune grise, austère mais attirante. J’aimerais bien voir la mer, juste là derrière, mais j'ai fait 100 kilomètres et le ravito m’appelle. à suivre