Un Piccard en Picardie, fin.

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Un Piccard en Picardie, fin.

J’ai attaché mon canasson devant la baie, Il avait voulu voir la mer et on a vu la mer. J’ai nettoyé ses étriers, Il a bu un peu de pluie et nous on est allé au saloon.

Avec Jean-Marc, on dégaine les barres de céréales, les abricots, les bananes, le thé. Ses mains tremblent, au milieu des courants d’air il ne parle plus beaucoup et regarde inquiet une nouvelle douche écossaise qui cherche la bagarre à l'horizon. On ne va pas traîner dans le coin. J’extirpe mon portable pour la postérité, mais je ne suis pas assez rapide dans ce duel, les premières gouttes tombent déjà.

Quand on repart, la route est criblée de pluie, je ne réfléchis plus et je m’engouffre aveuglement derrière deux anglais, casaque bleue fluo et  casaque rouge fluo, ils se relaient avec diligence devant mes pneus jusqu’à m’apercevoir que leurs plaques n’ont pas la même couleur que la mienne.  Bien sûr Jean-Marc n’est plus là et au bout de 40 bornes j’ai comme un doute, me serais-je trompé d’hippodrome ? Mes cosaques avec leurs combinaisons étanches me déposent dans une longue ligne droite en forêt de Crécy en P( ?) et un percheron hollandais me rattrape. Là, ce n’est plus le grand prix de l’arc de triomphe que je cours mais celui du ras le bol.  Au contrôle, la feuille de route me confirme qu’aucun nom de village n’est sur la liste des partants. Ma côte dégringole, 180 bornes ce n’est juste pas possible, je veux rentrer chez moi.

Je parle au bénévole, il me parle, mais je vois bien qu’on ne se comprend pas, « je veux rentrer direct, on est sur quel parcours ? ». « Ben ch’est la courche à vélo, la courche à Sânnier, la Ronde PiKarde koi, ben j’ch’ai pas moi, là ch’est vers Amiens, là ch’est Abvil mais y’a des camions, mais t’es pas du coin hein, t’es pas Picard toi ? ». « Si, mais non, enfin c’est un peu compliqué, merci quand même ».

Albertville, Abbeville, Picard, Piccard, Amiens, à tiens le bon bout ! Je partage la ligne droite aux côtés des semi-remorques qui passent à 90, au moins. De temps en temps, je ne peux pas me ranger plus prêt du bord, de temps en temps je prends les petites routes réservées aux exploitants agricoles. Quand elles s’éloignent de trop, je déchausse et coupe dans les champs, j’ai fait les Bauges quand j’étais jeune. Raccourci, rallongi, je ne sais plus où je suis et je me dit stop, il faut bâcher. Alors, à la croisée des chemins D32 et D928, entre Amiens et St Riquier, entre Lamotte B et Millencourt en P, des villages dont je ne connais même pas le nom pour qu’ils restent anonymes, pour la deuxième fois de ma carrière j’ai appelé la voiture balai. Ma bête de somme calée contre le panneau semble épuisée elle aussi. Il a réussi à ne pas crever et même si il ne me restait plus que 20 bornes pour boucler, on est à sec, trempé, rassasié de ce que nous avons vu, heureux de ces retrouvailles avec cette terre.

Une demie heure plus tard je rentre sur Eaucourt. Comme Henri va bientôt terminer son parcours, je veux bien l’accompagner pour son dernier kilomètre. Je veux dire merci à ce monsieur qui a représenté tous les autres sports (autres que le foot), qui les a fait connaître, exister, du temps ou il n’y avait pas d’internet, pas de réseaux sociaux, pas de chaîne télé consacrée au sport, pas de sponsor énergisant pour montrer des trucs dingues. On franchi main dans la main la ligne d’arrivée et il est temps de gouter puis de re-gouter la bière Picarde. Le soleil s’est définitivement invité jusqu’à en oublier le repas mais pas la douche. La fatigue me rattrape un moment et puis j’ai voulu visiter les environs. En voiture on est monté au moulin. Du haut de cette butte de 180 mètres j’ai l’impression d’être sur le Mont Blanc. Tout autour, la ruralité, la Somme, les champs, le plat, le ciel, le vent, l’air, la vie.

Le soir, Henri nous reçoit dans sa maison en toute simplicité. Bien sûr il y a des montages photos ultra pro mais pas de villa phénoménale, bien sûr il est à l’aise au micro pour raconter son parcours mais il a bien les pieds sur terre quand il remercie ses amis devant une carbonade flamande succulente et j’avais des étoiles plein le ciel quand on est rentré à pied au bercail.

Au petit matin on est reparti. Sous un ciel bleu et sans une once de vent. Les images défilent dans la belle Audi noire, celles de vélo, celles de ce pays, celles du retour, celles d’une mission accomplie, celles de mes illusions que je garde avant de revoir mon Beaufortain. Dans le coffre, j’entends mon mulet qui chante…

Il rêvait d'une ville étrangère Une ville de filles et de jeux Il voulait vivre d'autres manières Dans un autre milieu Il rêvait sur son chemin de pierres "Je partirai demain, si je veux J'ai la force qu'il faut pour le faire Et j'irai trouver mieux" Il voulait trouver mieux Que son lopin de terre Que son vieil arbre tordu au milieu Trouver mieux que la douce lumière du soir Près du feu qui réchauffait son père Et la troupe entière de ses aïeux Le soleil sur les murs de poussière Il voulait trouver mieux Il a fait tout le tour de la terre Il a même demandé à Dieu Il a fait tout l'amour de la terre Il n'a pas trouvé mieux Il a croisé les rois de naguère Tout drapés de diamants et de feu Mais dans les châteaux des rois de naguère Il n'a pas trouvé mieux Il n'a pas trouvé mieux Que son lopin de terre Que son vieil arbre tordu au milieu Trouver mieux que la douce lumière du soir Près du feu qui réchauffait son père Et la troupe entière de ses aïeux Le soleil sur les murs de poussière Il n'a pas trouvé mieux Il a dit "Je retourne en arrière Je n'ai pas trouvé ce que je veux" Il a dit "Je retourne en arrière" Il s'est brûlé les yeux Il s'est brûlé les yeux Sur son lopin de terre Sur son vieil arbre tordu au milieu Aux reflets de la douce lumière du soir Près du feu qui réchauffait son père Et la troupe entière de ses aïeux Au soleil sur les murs de poussière Il s'est brûlé les yeux Il s'est brûlé les yeux Il s'est brûlé les yeux F.CABREL