Chimère aux Glières 10.

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Chimère aux Glières 10.

La fouille de son sac à dos révèlera une canette de Red Bull qu’il aurait bu 20 minutes avant son départ, une barre de snickers qu’il aurait mangé 20 minutes après son arrivée. Sans savoir si ce timing précis a une importance, les emballages retrouvés dans la poubelle de sa voiture confirment son alibi. On imagine qu’il a attendu son résultat, une 71 ième place, à 28 minutes de la gagne mais une médaille en chocolat dans sa catégorie. Vers midi, les caméras de surveillance font état d’une petite esquisse de dance à la David Byrne sur Psycho killer, mais l’effort a été bien vite stoppé, sa fatigue nous a privé de ce moment tout en souplesse.En dehors du champ de vision, en imaginant qu'il a plutôt bien vécu cette course, notre Horatio élevé au Beaufort a pris le temps de saluer la compagnie pour brouiller les pistes. Coupable tout désigné de cette forme de hold-up (une quatrième place inespérée), il ne voulait pas partir comme un voleur. Boissons, fruits secs, le soleil était déjà haut mais c’était toujours le même cruel dilemme, partager un moment avec les autres ou reprendre la route. Comme une fuite en avant. Avec du recul, au moment de clore une nouvelle fois son affaire et de charger sa paire de ski d’échauffement sur l’épaule, il se demandait s’il était encore taillé pour ce genre d’épreuve. Un vent chaud balayait la forêt, il secouait les cimes comme lui hochait la tête. Il pensa que la retraite approchait.Le chemin du retour s’ouvrait comme pour Moïse descendant au milieu de la mer blanche. Lentement, du plateau vers son point de départ, il a stoppé sa glissade d’un petit dérapage pour prendre en photo le théâtre de sa performance. Était-ce la dernière fois, à l’avenir, il ne pouvait se résoudre. Jamais banalisées, ses courses le faisaient converser, converger vers lui-même. Il se rendait bien compte qu’en écrire les contours était devenait une addiction. L’écriture, ce mal contracté il y a quelques années et qui le bousculait dans son quotidien, s’était immiscée dans les moindres recoins de ses parcours. Chaque centimètre était habité, l’inspiration une respiration.Certes, il n’avait pas la VO2 d’un prix Renaudot mais qu’importe, ce besoin avait pris une importance considérable dans sa vie. Remuer ciel et terre pour accoucher d’une idée, prendre parfois des risques pour affirmer une pensée, pour s’ouvrir, formuler sans cesse des tournures qui prendront formes dans le prochain virage. Plaire et déplaire, jusqu’à en avoir le souffle coupé. Pendant ces 42 bornes il avait été heureux de ne pas trouver d’issues à ses utopies.Du haut de tout son béton brut, le monument lui montrait un autre chemin possible, fait de non conformisme, de résistance. Sa propre voie pouvait emprunter un sens moins physique pour finir. Les nouvelles pistes seraient probablement d’une autre couleur derrière un bureau. Mort de sa petite mort sur des skis alpins, la perte de son côté sportif serait une épreuve très douloureuse. Une perte de sa personnalité, d’un lien avec la façon dont le monde le percevait.