Chimère aux Glières 4

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Chimère aux Glières 4

Dès le lendemain et pour les quelques jours qui suivirent, un rituel fût mis en place. A la faveur de cafés systématiquement froids et de viennoiseries variées, l’inspecteur se mettait à table sans faiblir. Avec un bon coup de fourchette et des bouchées doubles, il espérait un dénouement rapide. Dans les faits et gestes, l’instruction avança au rythme de sa mémoire.Son action se passait un dimanche du mois de mars, le 20 pour être exact. Parce que son rétro planning mûrement réfléchi était formel, il était aux environs de 6 heures du matin, quand il avait quitté sa planque. Bercé d’illusions et bardé d’incertitudes, il allait retrouver ses habitudes sur ce bastion historique. En clair, après une inscription sur le coup de l’orgueil dix jours auparavant, il avait pris la route au volant de son nouveau bolide de 300 chevaux en direction des Glières. Chargé de deux paires de skis fraîchement fartées par Tchak, son complice, il était monté chez Régina et se préparait à faire un marathon de ski de fond. Il faisait beau, il avait croisé une biche et évité des cailloux échoués sur la route. Cela ne révolutionnera pas l’enquête, mais c’était juste pour dire qu’il adorait sa bagnole. Bien qu’elle fasse un bruit douteux sur les freins ultra puissants, elle était parfaite de sa calandre aux bruits d’échappements. La puissance de cette petite bombe lui rappelait ses vieux démons de conduite, ceux d’une R5 turbo2 dont la route du Cormet de Roselend avait eu raison dans les années 90. Heureusement, des pneus hiver et une période de rodage tentaient de le réfréner dans sa quête de vitesse.Il n’était pas de ceux qui arrivent par la grande route pleine de soleil et qui n’ont qu’à se baisser pour chausser ou à se laisser glisser jusqu’au départ. Il faisait partie des autres, moins chanceux, les laborieux qui déboulent du Petit Bornand à l’autre bout du plateau. Infiniment moins nombreux dans ce parking encore désert et dans l’ombre, il s’était préparé au sein de ces acolytes anonymes avec le même mode opératoire. On ne change pas une méthode qui gagne ! Sur cette face cachée du plateau des Glières, il avait visualisé son épreuve et la mise en scène pour faire croire à une improvisation. Il se souvint que deux questions le taraudaient. Fallait-il prendre des vêtements de rechange et n’était-ce pas prétentieux de venir ici ? Après seulement une « traversée de la Ramaz » de 32 kilomètres à son actif, il faisait figure de petite frappe dans ce milieu des longues distances, une petite santé dans une trop petite saison. Pour les fringues, il avait pensé pouvoir se changer dès la course terminée et repartir incognito après son forfait à la mi-journée, jetant au fond de son sac sa tenue de course jusqu’à la prochaine sortie. Malgré ces circonstances atténuantes, toujours sur ses acquis du siècle dernier, il espérait bien se classer.

Avec l’effet d’un plongeur qui remet sa combinaison de néoprène un lendemain de plongée, rentrer dans sa tenue ne fût pas une partie de plaisir. L’élasthanne tendu à bloc par cet hiver pas assez rigoureux lui faisait des plis disgracieux et quand il parvenait à en faire disparaitre un, un autre apparaissait, plus bas ou plus haut. Idem pour les chaussures. Derrière sa voiture, on aurait dit un flamand rose faisant du cloche pied pour troquer ses baskets contre ses souliers de scène sans se salir. Ses accessoires, gants, bonnet, lunettes, avaient eux aussi les stigmates de sa dernière expédition au Ramazistan, humidité froide, trace de sel, odeur de transpiration.Une fois harnaché, l’inconfort fût de courte durée, le soleil pointait déjà et réchauffait gaillardement notre candidat qui semblait prendre le chemin d’une latex party. Chargé de son bazar habituel, la boue encrassait ses chaussures en avançant jusqu’au front de neige. Avant de chausser, notre expert scientifique digne du FBI remarqua que les pistes étaient impraticables. La neige encore gelée retenait prisonnières d’énormes empreintes de ski déposées la veille dans la soupe de ce printemps caniculaire. Les chemins de traverses lui offrirent une alternative.Il expliqua que la croute de neige le supporta malgré tout, brinquebalant à travers la plaine. La deuxième paire de ski dans les mains lui fît suivre une drôle de trajectoire si l’on en croit le bornage de son GPS. Sans pouvoir s’appuyer sur ses bâtons, zigzaguant entre chemins piétons et pistes verglacées, le mollet crispé, il était apparemment déjà bien entamé avant de se présenter à 8h devant le bureau des inscriptions. Derrière les tréteaux de bois et la longue nappe de papier blanc maintenue par des cailloux, on l’a accueilli. Il s’était déjà acquitté de son ticket sans statut particulier ni pass VIP ce qui était son droit le plus strict. C’est apparemment une constante chez lui. Payer son ticket d’entrée, respect des consignes, discrétion, hormis parfois l’emprunt d’une paire de ski aux parrains du circuit, il n’y avait pas grand-chose à lui reprocher, son casier était vierge. Sous le panneau 42 km, on surlignait de jaune et de rose votre nom avant de vous donner le sésame. Au guichet on connaissait le boulot et la file avançait vite. Pour chacun des 1500 participants, en quelques secondes une pochette craft était distribuée avec, à l’intérieur, dossard, puce de chronométrage, tracts et goodies.En général, les prospectus proposent des courses à faire pour les week-end suivants et rappellent qu’il ne faut pas les jeter sur la place publique. Quant au petit cadeau, même si les budgets se resserrent, du bonnet à la fiole (vide car ce sont des sportifs), il est toujours le bienvenu et sera signe de ralliement lors d’une prochaine rencontre.