Chimère aux Glières 2.

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Chimère aux Glières 2.

Malgré lui, les images revenaient en tête. C’était en mars, une belle météo, le manque de neige, du ski de fond dans un endroit chargé de souvenirs. Un dossard, une course de longue distance, une atmosphère pas comme d’habitude et puis des questions, des tonnes de questions qui lui firent écrire seulement ce titre en attendant mieux. Au milieu de cette catharsis, le profiler de CM2 avait sous ses yeux largement matière à réveiller le Jourdan qui sommeillait en lui. Une bonne enquête, y’a que ça de vrai pour vous tenir alerte et vous requinquer. Dans un enthousiasme très mesuré, le coude sur le bureau, la tête posée dans sa main, la souris docile, il avait bien envie de relancer cette affaire, mais hésitait à reprendre du service. La qualité et la profondeur de ce qu’il lisait à longueur d’ouvrages le laissait extrêmement sceptique sur ses capacités, tout en bas de l’échelle de l’écriture. Sa fin de carrière n’inquiétait que lui et son public ne le réclamait pas vraiment, si bien que cette enquête pouvait vite se transformer en galère s’il n’était pas méfiant sur le sujet. On ne s’improvise pas Mentalist pour des objets trouvés, il se rappelait aussi que donner des réponses sur des a priori lui avait déjà gâché bon nombre d’instructions. S’embarquer pour le roman de sa vie ne l’attirait pas du tout et s'il partait dans tous les sens la situation allait le dépasser jusqu'au fiasco.Pour cadrer son monde, il mit donc tout de suite les points sur les i. Il n’y aurait pas de céréale killer, ni mort d’homme, ou alors au sens figuré. La traversée de la nuit serait bien plus clémente, elle se fera de jour et sur des skis de fond ! On n’allait pas trainer dans les sordides histoires de son héros de bouquin, il y aurait de l’humain et de l’émotion. On n’allait pas non plus refaire le monde, au pire des scénarios, il serait repris sans foi ni watts à quelques centaines de mètres de l’arrivée. En réalité, peu importe ce qu’il se tramait, tout ce qu’il voulait c’était retrouver un souffle nouveau capable de le projeter ailleurs que dans sa routine, l’expulser de son cercle vicieux, sortir de ce putain de nuage de CO2 qui était en train de l’asphyxier. Au bout du compte il voulait surtout faire comme avant, écrire pour le plaisir et se foutre comme de l’an 40 de ce que les gens pourraient en penser.

Dans son style loufoque, il se disait qu’avec ce titre qui lorgnait légèrement vers le polar et quelques jeux de mots en bon père de famille, il avait une infime chance de vous tenir en haleine pendant cette période estivale. Il allait modifier un tantinet son vocabulaire, noircir le trait pour être raccord avec son personnage et tenir une écriture qui n’était usuelle. Rien de difficile sur le papier, il était capable par moment d’avoir ce regard sombre et l’actualité le lui rappelait tous les jours. De l’eau allait certainement couler sous les ponts jusqu’à la conclusion, mais il n’était pas pressé par des supérieurs, et comme l’été promettait d’être chaud, l’espoir le fît vivre. Notre inspecteur Barnaby des champs avait de la bouteille et se disait qu’il en n’était pas à son coup d’essai. L’affaire, il la connaissait très bien puisque pendant une dizaine d’année elle avait émoustillé toute la jet set du ski nordique avec des épisodes à rebondissement. Il pensait y avoir mis un point final en 2019 après une saison mortelle et une arthrose du diable, mais le dossier avait fait de la résistance, était remonté à la surface pour un ultime (?) coup de théâtre. En buvant son café froid, il remarqua que la petite pochette du début avait beaucoup grossi. À l’époque, les premiers indices et les premiers brouillons tenaient largement sur une seule page A4, alors qu’aujourd’hui, l’histoire entrait à peine dans un énorme dossier capable de saturer votre smart phone dernier cri. En une dizaine d’années les gros titres avaient régulièrement fait la une de sa page Facebook et les commentaires passionnés avaient défrayé ses chroniques pendant des semaines entières.Attention, il n’était pas dupe. C’était des succès très relatifs, une centaine de pouces levés tout au plus, pour une lecture en diagonale de surcroit. Rien à voir avec la pléthore de petits cœurs distribuée au premier venu pour la photo d’un banal nuage au-dessus de son patelin. D’ailleurs à ce sujet, chers « amis », son égo en prend un coup quand une chronique ou une nouvelle, pondue à la sueur de son front, fait péniblement le plein de vos suffrages. Je dis ça, je ne dis rien.