Pendant que des miettes s’échappaient du chausson aux pommes qu’il gloutonnait, le détective privé se disait qu’il allait devoir reprendre à zéro toutes les hypothèses de cette enquête. Avec cette réouverture s’annonçait une nouvelle énigme et la recherche d’une nouvelle vérité. Ce scénario de travail le fatiguait déjà. Il serait bien parti vers d’autres oisivetés mais après avoir mis le doigt dans l’engrenage de ce cold case il était dorénavant impossible de renoncer. En effet, pour éviter qu’on ne le déchargeât de l’affaire, il avait laissé fuiter ses premières lignes sans toutefois les rendre publiques.Balayant d’un revers de main les restes de la viennoiserie tombés sur son bureau, il dût se résoudre à relire attentivement tout le contenu du dossier. Pour ne pas se répéter, il fallait se farcir les rapports et les longs procès-verbaux livrés au cours des enquêtes précédentes. « Les Glières 2014 » était paru en 2014 comme son nom l’indique, premier épisode servi sur un plateau de ce coin de paradis. « Papy Glières » en 2015 était une sorte de lettre d’aveux laissé pour ce papy de la Yaute car il avait une certaine ressemblance avec son plateau natal des Saisies. Dans « En passant par les Glières » en 2016, on le suivait dans une poursuite infernale, sur les traces de deux frangins, louches mais pas méchants pour un rond. « Saut de puces aux Glières » couvrait la période 2017/2018, un flagrant délire à propos d’un bracelet électronique, perdu et retrouvé puis mis en liberté conditionnelle. En 2019 étaient sortis « Hier c’était Glières », une envolée nordique et philosophique sur le sport et la victoire, mais surtout « Glières Inception » qui avait été commis en été lors de l’étape du tour cycliste entre Annecy et le Grand Bornand. On y glissait d’un rêve dans un autre comme pour le film, du moins c’est qui était prévu à l’origine. Autant de titres racoleurs jetés à la vindicte populaire mais qui le faisaient encore bien marrer aujourd’hui.
Du plus ancien au plus récent, cela lui rappela que, sans jamais se lasser, hiver comme été, il avait arpenté le lieu à la recherche de nouvelles expériences. L’une après l’autre, les éditions avaient trouvé leurs publics. Fournissant mobile ou alibi, ses témoignages étaient souvent cocasses, légers et parfois drôles. Avec l'âge ils avaient créé une émotion que l’on pouvait retrouver au travers des débats stockés dans le troisième sous-sol de son passé, archivés au bureau des réseaux sociaux. Ces formes d'aveux ne prétendaient rien du tout, ni sur le plan sportif, ni sur le plan littéraire, mais toutes ces histoires soulignaient un profond respect de ce lieu historique. Rien n’avait transpiré depuis. Un long silence avait suivi sa dernière compétition en 2019 et il semblait avoir tourné la page. De confinements en pandémie, les entraînements s’étaient espacés au point de le faire devenir un simple sportif du dimanche, jusqu’à ce jour d’une improbable récidive le 20 mars 2022.Pendant que sa main fouillait le fond du sac papier à la recherche d’un croissant ou d’un pain aux raisins, du coin des lèvres, il reconnaissait que les résultats obtenus jusque-là étaient peu glorieux. Après la surprise de le voir empiéter sur ce territoire si loin de ses bases de skieur alpin, le respect était venu grâce à des participations assidues, voire boulimiques, dans tous les marathons nordiques de France et de Bavière. Il y avait eu quelques hourras quand il avait effectué un rapproché au palmarès, mais les honneurs avaient surtout ponctué ses publications.Depuis le fond de la Sibérie jusqu’au haut Jura, il y balançait sans pudeur son pouls et ses états d’âmes à qui voulait l’entendre. Il s’épanchait volontiers sur ses déboires et prenait un malin plaisir à raconter ses descentes à un rythme d’enfer et les remontées au paradis de l’adrénaline. Entre romance et distraction, il prenait d’habitude son rôle de commissaire Maigret peu au sérieux. En revanche, sur ce plateau haut Savoyard, la recherche de la vérité semblait constituer une sorte de fil rouge tendu à la fois vers le passé et vers le futur.
