Chimères aux Glières 6.

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Un peu désabusé, il s’attarda sur les photos à l’intérieur de la pochette. L’inspecteur très méticuleux les collectionnait comme une montagne de preuve tangibles de son passé. Dans le contre-jour de sa fenêtre ouverte sur le Beaufortain, il remarqua quantité de clichés de paysages saisis sur le vif. Qu’ils soient témoins de la candeur de cet espace ou de son esthétisme, tous semblaient vouloir dire quelque chose que notre inspecteur Derrick dans sa 58ième saison ne comprenait pas encore.Associés à ces vues, il y avait également beaucoup de sourires et de belles traces nordiques que des paparazzis lui revendaient à prix d’or sous le manteau (Merci Reflex photo et Lamapix !). L’allure y était de plus en plus posée mais un visage soucieux avait succédé au gamin qui souriait. Entre le bonnet grisonnant et la barbe blanche, le poids des années devait certainement peser lourd se dit-il. Écartelant en deux le croissant bien dodu, il faisait le constat amer que, dans le fond (!), la forme passait aussi vite que les catégories dans lesquelles il s’était engagé.Sans trop d’entrain, refermant le dossier désormais maculé de quelques ronds de tasse d’un café très largement dilué, il fit craquer les os de sa nuque comme pour un combat de catch. Fidèle à l’accoutumé et selon un scénario bien rodé, instaurant un huit clos avec lui-même, il allait se coltiner les dépositions de ses méfaits. D’abord méditer sur la situation qu’il va asséner à grand coup de paraboles et que ses petits doigts malhabiles auront du mal à transcrire. Il se débattra ensuite avec cette emphase d’un autre temps et ce style inapproprié pour la comparution immédiate. Il lui faudra alors des semaines pour soigner les approximations, panser les plaies et les confusions à l’âme . Sous la lampe interrogatrice de son bureau, il procrastinera de longues heures, retirera les ficelles trop visibles de sa nostalgie et mettra au propre le figuré. Contraint et forcé par la vitesse implacable d'un système médiatique surbooké, il avouera alors ses tergiversations via le net. Finalement, à force de triturer les phrases, elles transpireront un fond de vérité sur lequel le tribunal populaire prononcera irrémédiablement un non-lieu, puis lèvera le pouce jusqu’à la prochaine course. S'il y en a une.

Sans plan de travail, il entama son pain aux raisins, qui avait l’avantage de coller aux doigts sans faire de miettes suspectes, et nota dans son carnet les premiers chefs d’inculpation qui lui vinrent à l’esprit :Pourquoi encore une fois le dossard ? Quel indice de masse grasse avait-il négligé et pourquoi ne pas avoir renoncé aux Snickers ? Peut-on s’inculper de mauvais résultats et, dans une moindre mesure, y-a-t-il eu outrage à ski de fond ? Que serais-je encore capable d’écrire à propos de ce plateau, comment obtenir grâce et légèreté sans dénaturer le passé ? Quand c’est lui qui dit oui et que ses genoux lui disent non, quelle est la date limite de consommation d’une après carrière ? Vous rédigerez selon votre humeur, vous avez deux mois.Impulsif et la bouche pleine, il voulut répondre du tac au tac. Sans trahir de secret, c’est vrai qu’avec le temps, les questions pour se présenter sur cette ligne de départ étaient devenues de plus en plus nombreuses, réclamant une légitimité qu’il n’avait plus et un entraînement qu’il avait encore moins. Sa masse grasse jouait en sa défaveur à cause des Snickers, mais pas que. Les résultats n’engageaient que lui et la mauvaise performance ne figurait pas au programme du BAC, ni aux autres examens d’ailleurs. Ce qui est erreur puisque l’erreur amène le progrès. En élargissant le spectre de ses recherches, à force de le questionner, le fameux plateau finirait bien par livrer ses mystères. Quant à l’après carrière, c’était le nœud du problème et cela méritait réflexion. Il était là pour ça.