Depuis lundi il pleut des acronymes sur Cham’. Comme chaque année à la fin du mois d’aout, il flotte sur la ville le parfum musqué de ces mots tombés du trail : TDS, OCC, CCC, UTMB. Par vague de discussion, il descend de chaque ruelle ces mots raccourcis, tous dévoués à des parcours initiatiques d’un sport extrême. Un à un ces mots synonymes de sacs de voyages glissent par ondée sur la vallée en faisant des ronds plus ou moins grands autour du Mont Blanc.
Sur chaque terrasse, carte IGN en main, on suit, on calcule, on commente ces abrégés de lettres qui font froid dans le dos. La rue piétonne transpire de tous ses sports et continue de commercer mais elle se retourne quand les montagnes résonnent des tonnerres d’applaudissements au passage des concurrents. Même les glaciers qui ont largement pris du recul ces dernières décennies semblent pris par la fièvre de ce chamboulement métaphysique en jetant avec fracas quelques séracs sur les chemins. Je suppose que tout là-haut on continue de s’affairer à grimper sur le toit de l’Europe mais ici-bas on ne peut pas y échapper, le trail est partout.
Du fameux car de Japonais enfin revenu sur Chamonix à l’accompagnateur dévoué de moyenne montagne, tous sont venus voir ces champions sortis d’une autre planète. La trail parade avance comme la rumeur. Ils sont partis, ils sont aux Houches, ils sont aux Chapieux, ils sont à Courmayeur, ils sont en Suisse, ils sont là ! Vivants et un peu perchés, ils franchissent l’arrivée après 20, 30 ou 40 heures d’efforts, de quoi faire passer les marathoniens pour des sprinteurs ! Avec un taux de masse grasse proche du zéro absolu, ils sont rustiques, authentiques, le mollet acerbe et le visage émacié. Les bras levés mais dans la modestie des solitaires, ces papas super héros, ces supers mamans, ne s’épanchent pas beaucoup. L’humilité sied au teint de chacun des participants.
Devant l’église inondée de soleil, l’arche de triomphe se dresse bardée de sponsors. C’est la semaine sainte du trail et tout le monde est venu communier autour de ces ultras sportifs. La messe est délivrée en plusieurs langues sur un écran géant dans un flux continu d’images et de commentaires en direct. Sur une chaîne télévisée entièrement dédiée aux épreuves, le prêcheur annonce les états de services époustouflants de ces champions hors normes. La poignée d’apôtres du début s’est transformée en une foule immense, capable de courir des journées entières sur 170 kilomètres de distance. En une quinzaine d’année ce sport s’est structuré et a donné naissance à une nouvelle approche de la montagne et de l’effort. Gestionnaire du physique et du mental, ces pionniers ont créé des standards pour venir à bout de véritables épreuves dantesques, ils se sont mis en route vers une sorte de retour à l’essentiel, survivre.
Les premiers en ont fait un métier, les autres reprennent le boulot lundi après avoir atteint ou non l’objectif annuel. Déjà ils pensent s’inscrire à la trail parade 2022. Je reviendrais les applaudir, penché sur mes écritures (je dédicaçais mes livres à la maison de la presse) j’ai seulement eu le temps d’imaginer ce texte. En attendant, l’ombre de ces géants plane sur le Mont Blanc.