Chimères aux Glières 7

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Chimères aux Glières 7

Un dernier regard. La liberté au bout du pré, le vent qui ondule sur l’herbe, par vagues presque régulières. Une balade champêtre et un bosquet d’arbres qui bruisse, sur des portiques en bois, un jeu très bien fait pour reconnaitre la gentiane jaune et la Linaigrette (celle qui ressemble à du coton). Les fermes isolées comme dans le temps, de pierres assemblées à la chaux et de tôles rouillées. Et cette croix blanche au milieu du champ, qu’un jeune maquisard a payé ici de sa vie en 1944 d’une balle dans le dos. C’est ce qui est écrit.

Les réponses étaient là devant ses yeux. Qui vivra verra, le dossier restera ouvert, pas de non-lieu, pas de condamnation, il n’est pas là pour juger, seulement se souvenir. La pluie a lâché quelques gouttes et le petit resto a ouvert ses portes. Salades, galettes de pomme de terre, fromages, charcuteries, sauf pour sa fille. Elle va bientôt repartir. Le calme est revenu. Ce 8 juin symbolique les a vu redescendre dans la vallée par cette route abrupte, sans même un reblochon. On discute plus qu’à l’aller. De tout et de rien, de l’avenir, de sa vie là-bas et du plaisir de se voir encore quelques heures. La pluie s’épanche encore un peu, nous fait stopper dans un magasin de déco. Fatiguée de son décalage horaire et de nos histoires elle préfère la banquette arrière. On fait un tour sans conviction, le retour est heureux. On pourrait ajouter des photos où on les voit sourire.

Et puis ce titre est revenu sur le devant de la scène. Il restait à l’inspecteur Labavure d’écrire ces petites choses de la vie, tellement dérisoires une fois de plus. Les canicules se succédèrent, les remaniements ministériels et les rebondissements de ce texte aussi. Pour présenter son affaire aux assises, maniant pelle et truelle avec son clavier, il trouvait toujours un prétexte à colmater des trous dans la trame et n’était jamais satisfait de la forme de son écrit. Il réfutait l’idée de devoir le clôturer, redoutait de serrer la sangle quand le dossier allait se refermer. Passer l’aspirateur, vider les poubelles, chambouler les paragraphes, le déni de grossesse d’un texte passe par ces tourments. Les évitements se sont succédés. Élections, travaux, parfois à pied, de nouveau sur un vélo, faire les choses juste parce qu’un jour on ne pourra plus les faire, l’inspecteur voulait conclure son histoire en beauté. Quand on veut dire trop et prouver son contraire, quand vingt fois il faut retravailler une terre amère, quand il faut arroser un avenir aride, l’écriture creuse des sillons si profonds dans votre pensée qu’il faut attendre longtemps avant de pouvoir récolter.

Nous étions déjà à la rentrée littéraire. La boucle était bouclée, les trois petites crottes de départ ont apporté leurs lots de surprises et de souvenirs, un parfum bucolique, un baume nostalgique sur un cerveau neurasthénique. Faute de preuve accablante, il fût temps de sortir du bois, de relâcher cet essai qui l’occupa tout l’été. Notre Sherlock en culotte nordique arrêta de se dédoubler et se remit à penser par lui-même. Il prit le droit de revenir sur la toile, parce que sa liberté conditionnelle ne dépendait que de sa propre estime.

Sûrement trop ambitieuses ses paroles accouchèrent d’un sourire pour le commandant Jourdan, poursuivre une chimère n’est pas chose aisée.

Fin.

Merci à la cinquantaine d'aficionados qui m'ont poussé pour aller au bout de ce texte.