Une si longue marche, le quatre.

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Une si longue marche, le quatre.

Vous avez fait le plus dur, on s'accroche pour les trois derniers épisodes !

Preuve d’être en accord avec le temps qui passe, je me réveille quelques minutes avant la sonnerie. Dehors, il fait encore nuit mais le beau temps et le froid sont déjà là. Respectant le timing, on se retrouve au petit déjeuner. Jambon, fromage, thé, café, fruits secs, yaourt, c’est parfait pour mon affaire. Preuve que je ne suis pas encore au niveau, chacun a amené son gâteau d’effort ! Plus ou moins cuit, pour ne pas faire de jaloux, j’ai finalement droit à trois parts de ce repas roboratif. Rassasié, il faut maintenant s’équiper et partir sans délai vers le départ car ils ont prévu d’être au premier rang de la porte du sas. Dans le jour qui se lève à peine, et mes ambitions relatives, je décide de prendre du temps pour m’enduire de camphre, de Musclor, d’arnica et de Gaulthérie.  Une petite demie heure plus tard, par ennui, ma paire de ski à la main, j’ai emprunté le chemin vers le départ. L’ambiance est électrique sur le versant opposé où des voitures forment déjà un bouchon d’un kilomètre. De ce côté c’est la tranquillité absolue. L'environnement fait un peu peur avec cette forêt dont il ne reste que les souches, tous les arbres ayant été couchés par la tempête Adrian en 2018. Seul sur le petit chemin, le baluchon des affaires de rechange dans le dos, l’inquiétude grandie jusqu’à ce que je retrouve dans le même état de solitude, quantité de fondeur. Plus on approche et plus le flux grossit. Une portion plate est propice pour faire un petit test avec mes Rossignol que je n’ai pas chaussé depuis les Saisies. Rien à signalé, l’accroche est bonne et c’est tout ce qu’il fallait savoir. En poussant le bouchon plus loin je descends vers le départ quand deux membres du service me demandent de déchausser.

Ce n’est pas interdit, la descente est « ghiacciata », alors c’est plus prudent me disent-ils. Conciliant, je reprends les skis à la main et constate qu’en bas c’est l’effervescence d’une ruche. Une foule d’au moins 7000 personnes s’agite, quasiment dans tous les sens. Des tentes sont pleines de fondeurs en train de sautiller pour ne pas prendre froid. D’autres grappes butinent autour des camions pour déposer les affaires de l’arrivée, de longues files se tortillent devant les cabines WC, et plein d’électrons libres passent tête en l’air à la recherche de quelque chose. Il y a même un bureau d’information. Un peu perdu j’y demande la direction du camion correspondant à mon dossard et le sas d’entrée, inutile de trainer dans les tentes d’attente, l’option vêtements chauds tient ses promesses dans le -12 ambiant. Le camion est juste derrière. Mon sac poubelle, affublé du numéro 1387 consciencieusement collé au préalable, se fait happer par le service. Le sas encore plus en arrière n’est pas loin non plus. Dossard visible je rentre dans un parc encore très peu occupé. L’air innocent j’avance jusqu’à apercevoir les potes qui s’empressent de me faire signe et une petite place à leur côté. Bien joué !

En position de spectateurs, on contemple les athlètes terminer leur échauffement. Cela me permet de voir comment cela fonctionne et aussi de me demander une dernière fois ce que je fais là !? Nous sommes aux premières loges pour voir les vagues partir. Pour l’élite, leur vitesse est hallucinante. Même en sprint sur 100 mètres impossible de les suivre. Tout en bras, ils s’attaquent à la première côte qui leur fait face. La fameuse descente ghiacciata est une plaisanterie, un dessert qu’ils avalent en montant debout sur leurs ergots, en extension maximale sur leurs fixations pour prendre encore plus de puissance. C’est maintenant au tour des femmes. Elles gambadaient tout à l’heure comme des gazelles pour l’échauffement, les voilà prêtes pour s’échapper. Nettement moins nombreuses elles n’en sont pas moins rapides. Même technique que les hommes, même résultat. La troisième vague fait le job et c’est à partir de la quatrième que cela commence à ouvrir en canard. Partis en skis de skating certains n’ont pas assez de puissance et sont contraints de marcher comme des palmipèdes pour monter. Les premiers bouchons se forment et sont régulés par des départs toutes les 5 minutes. A partir de la cinquième vague, on commence à observer des vrais skieurs de fond alternatifs. Sans fart de retenue, ils patinent, reculent et finissent eux aussi par monter en canard. Notre tour approche. J’enlève ma veste et l’attache autour de la taille pour la déposer vers Gérard qui nous attend en haut de la première bosse (le planning prévoit que l’on se retrouvera à mi-parcours et à l’arrivée avec le bus). Quand la rubalise se retire il faut aller se placer pour chausser. « Ni trop près ni trop loin » qu’ils ont dits les parrains, mais cela veut dire quoi ? Je trouve un endroit à côté de la banderole, pose mes skis à plat pour chausser sans paniquer. Un peu de fébrilité fini par me saisir car je ne trouve pas de place pour me lancer au milieu du trafic. Je grille le stop, me fait siffler, mais « moi m’en fout » comme dirait mon père.

La bousculade ne dure qu’une centaine de mètre et puis tout le monde se cabre, la première grimpette est déjà là ! Il faut jouer stratégie car il y a deux routes. A droite, c’est plus facile en bas mais plus dur à la fin. Ce serait mieux à gauche, "c’est plus régulier" dixit Michel. Comme sur l’autoroute quand tu rates la sortie, je me suis fait embarquer du mauvais côté. Pas grave, je m’applique mais sur cette glace l’accroche n’est pas facile. C’est plutôt du hourra nordique que je fais ! Ah si mon prof de classique me voyait... Aux alentours personne ne s’en sort correctement, alors on continue. Le replat arrive enfin, mais pas de Gérard à l’horizon. Avec mon clignotant, un petit demi-tour en dehors de la voie de circulation et beaucoup d’hésitation, la veste est déposée en amont sur le filet du jardin d’enfant. Je ne le sais pas encore mais c’est la dernière fois que je la vois, Gérard était sur l’autre voie rapide. Ses manches trouées qui pendouillent, son col décousu, ses poches percées, sa sérigraphie craquelée, ce sera la dernière image pour toujours. Elle me manquera mais fera certainement le bonheur de quelqu’un. Les choses normales commencent donc maintenant.