Une si longue marche, numéro 4.

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Une si longue marche, numéro 4.

Vous êtes encore là ? Allez, courage la course approche !

Le repas du soir nous rassemble à nouveau. Autour de cette cuisine Italienne tellement bien faite pour les sportifs, on agrémente la discussion de nos histoires de vie, de nos parcours. Le buffet de crudité est visité pour la bonne conscience, en complément alimentaire des pâtes et des viandes sans sauce malgré tout. Le vin rouge faisant, les contes et légendes du ski de fond et du ski alpin se mélangent. Jusqu’à pas trop tard sont évoqués les faits de gloire mais surtout les casseroles et les plantages, capables de nous faire rire aux éclats aujourd’hui. On termine les bouteilles, pile avec le tiramisu. En chambre, plongé dans nos bouquins respectifs, (Les misérables de Victor Hugo en version originale pour lui, un roi sans divertissement de Giono pour moi) on complète les phrases débutées à table et puis le sommeil.

Comme promis, ce samedi on embarque assez tôt vers le premier lieu de test, en remontant la vallée vers Canazeï. Nous nous trouvons un parking où l’ombre des dolomites plonge les alentours du ruisseau dans des températures polaires, aux alentours de -10 degrés. Avec l’humidité ambiante le ressenti est extrême. Benoit reconnait très bien ce petit coin de paradis. De l’autre côté du parking, au bord de la trace de course, il y a un petit panneau annonçant qu’il reste 44 kilomètres à parcourir, c’est exactement là que l’année dernière il a pris un coup de latte mémorable ! Peu superstitieux, l’histoire ne devrait pas se répéter. Tout cela n’empêche pas Michel de nous répartir les skis. Mains nues comme toujours, il me tend une paire de Fischer dépareillée avec les repères 5 et 6. Je fais la poule qui a trouvé un marteau, comment voulez-vous que je ressente une différence entre les deux ? Ma spécialité de metteur au point du matériel c’était en ski alpin, en skate j’ai quelques notions mais en classique c’est sûrement la cata ! Pas grave, on skie et on verra. Les skis passent de pied en pied et pour eux le classement est établi en quelques hectomètres.

Perso, je suis plus nuancé. Entre la technique aléatoire et les rails de skis de fond occupés par la concurrence, c’est même flou. Il faut éviter les trains de scandinaves qui arrivent en double poussée à contresens, sauter en dehors des traces quand deux testeurs passent côte à côte en pleine comparaison de glisse. Il faut entendre le bruit des bâtons de ceux qui sont derrière, bifurquer sur l’autre voie quand on sent que l’on va gêner la progression d’un duo en séance de récup, penser à la vitesse, à la pente, protéger ses arrières et son matos. Le trafic est intense et tourne la tête. La recherche de sensation s’affine pourtant à propos du fart de retenue. Après avoir chaussé tous les numéros de 1 à 8, j’aime bien les 5 et 6 d’origines. En amont, un pont tout enrobé de givre nous fait traverser le ruisseau. Le test de glisse se fera en redescendant vers le fameux panneau 44. En fait je suis incapable de donner avis. En cherchant bien je pourrais trouver ce qui va le mieux mais je suis plus absorbé par les petites côtes qui se présentent que par la descente ! Je pense à demain, à cette portion qui ne sera certainement pas un long fleuve tranquille.

Tout ce petit monde ayant classé, répertorié, on se dirige maintenant vers le deuxième test de validation, une plaine au soleil proche de l’arrivée, à Zianno di Fiemme. Ici la neige légèrement plus chaude a des cristaux transformés parce que c’est de la neige artificielle qui a été brassée. On classe, on vérifie, et, coup de bol de confirmation, les skis choisis là-haut sont encore les meilleurs ici ! L’ambiance est pourtant bien différente. Dans cette longue plaine c’est même la récréation. Certains font des photos, des bénévoles préparent les stands de ravitaillement, les bras se dénudent, nous restons pantois devant la cadence d’une jeune finlandaise qui semble avoir le diable à ses trousses. Ça rigole et ça chambre, mais ça pose le problème. Skate ou pas skate telle est la question ? Dans ce genre de course, deux écoles s’affrontent : les puristes et les pousseurs, les traditionnalistes et les gros bras. Ces deux mouvements sont deux façons radicalement opposées d’aborder la course, puisque les uns, historiques, privilégient le geste ancien en alternant bras et jambes, alors que les autres, n’utilisent que les bras pour se mouvoir. Dans cette dernière catégorie, on joue la performance, le matériel de skating, sans avoir le droit de faire du pas de patineur. Cela force le respect parce que tenir pendant 70 bornes sur les bras, dans des pourcentages parfois à plus de 10%, cela relève même de l’exploit ! Le choix ne se pose pas pour moi. Ce sera classique, beauté du geste par défaut, performance alternative, pour voir l’arrivée sans y laisser la santé, ni les genoux.

Autre avantage de ce lieu de test, la proximité du magasin d’usine La Sportiva, les Beaufortains ne perdent pas le Nord ! Mais avant, une pizzeria nous ouvre ses portes. En compétition avec un groupe de Norvégien pour une table, on se faufile. Il n’y pas vraiment de gagnant car il y a de la place pour tout le monde, mais psychologiquement ça fait du bien ! On nous explique qu’à cette heure (13h30) il n’y a plus que des pizzas disponibles. En s’inquiétant de savoir s’il y avait des desserts on accepte. Cerise sur le tiramisu, les pizzas sont exceptionnelles. La bière Warsteiner dans son verre puis l’obligatoire dessert emblématique, prolongent notre séance de bien-être. A l’expresso, on est dans une bulle de paresse et il faut toute l’attractivité d’une marque de rando pour nous faire sortir. Le magasin ouvert toute la journée ce samedi ne désempli pas. Plus rien n’est à livrer au magasin, alors je pose un joker et me contente d’observer, immobile. L’outlet factory store réclame vigilance sur les produits pour déceler le défaut et apprécier s’il est supportable ou pas. Chacun inspecte, soupèse le pour et le contre ; avant de se rétracter vers le magasin normal ! La Team achète raisonnablement, un peu trop sagement d’après l’envie qu’ils avaient d’en découdre avec la carte bancaire. Alors, puisque nous sommes ici, une deuxième manche sur les produits dérivés à Cavalèse est organisée. Cette fois pas de quartier et ils sont assez rapidement conforme aux prévisions.

La fin d’après-midi est consacrée au fartage et à quelques photos du village. Benoit, chimiste en chef, dirige la manœuvre pour nos skis. On s’organise pour demain, avant, pendant et après la course, car il faudra bien rentrer à la maison demain soir. Sans expérience, je suivrai le programme mis en place. Comme on m’a conseillé de reconnaitre le parcours dans le village, je m’exécute. En descendant les rues je constate que le ruban de neige est devenu compact, les pointillés sont devenus une ligne quasiment continue où il sera difficile de doubler. Ce n’est pas large, mais pas de descente abrupte ou de virage serré, soit ils ont exagéré, soit le parcours a été changé ! Peu importe, les rues sont superbes. Le savoir-faire ancestral des vieilles fermes de plus de trois siècles côtoient celui d’appartements basse consommation d’énergie dans une sobriété commune. Les bardages ajourés se confondent aux piles de bois millimétrées qui attendent les rigueurs de l’hiver. Les grandes baies vitrées s’opposent aux peintures fines qui encadrent de lumière les portes et les fenêtres. Elles forment des reliefs en trompe l'oeil assez similaires à ceux que l’on retrouve chez nous, sur l’enduit d’origine de nos vieilles bâtisses. Les balcons aussi pourraient largement se voir en Beaufortain. Eux (les montagnards Italiens) n’ont pas perdu leur patrimoine, et l’expose avec fierté.

Le diner reste joyeux malgré la tension de la course qui approche. L’état d’esprit est bien différent des compétitions de skate où la performance m’emporte la plupart du temps, avec son cortège de stress, de mauvaise nuit. La mémoire se rappelle du début de saison difficile, de mon très petit niveau dans cette discipline, du bonheur d’être parvenu jusque-là, de découvrir cette course mythique. Je suis sans aucun doute possible le maillon faible de l’équipe et cela ne me pose aucun problème d’égo. Qui sait, un jour j’espère revenir avec d’autres ambitions. Ce soir les bagages sont faits, la petite pile des affaires de course est savamment rangée pour un maximum d’efficacité. En accord avec mes objectifs, le bouquin de Giono est terminé et c’est l’option confort qui est choisi avec des vêtements amples et chauds. Le ravitaillement est rangé dans les poches de la ceinture avec la gourde que je remplirai de thé demain matin, à 5h30.